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Sabil al-Iman, éclats spirituels de la semaine (n°42) - Les dormants de la caverne : un récit universel Islamo-Chrétien



Plus qu'une histoire de croyants fuyant la persécution d'un pouvoir sanguinaire, le récit coranique invite à une plongée dans des thématiques intemporelles qui résonnent profondément avec les questions humaines : la foi, la persécution, la résilience face à l'oppression et le mystère du temps. Qui étaient ? Qu'ont-ils fui ? Quel est le secret de cette caverne qui leur a servi de refuge extratemporel lorsqu'ils ont fui la cruauté d'un régime d'un régime aveugle par ses certitudes ? A quelle époque ont-ils vécu? Combien étaient-ils? "Ahl El-Kahf" ou "les Gens de la Caverne" sont des croyants dont le récit est exposé dans quelques versets de la Sourate XVIII, intitulée "la Caverne".


De cette Caverne qui leur a servi de refuge


Le texte coranique, avec sa narration subtile, joue sur les notions de temps et de conscience. La question de savoir combien de temps ils ont dormi reflète une exploration profonde du caractère subjectif du temps, concept qui continue de fasciner philosophes et scientifiques. La perception du temps comme concept malléable, subjectif et multidimensionnel reste un terrain fertile et fascinant. Et si le voyage temporel ne consistait pas à se déplacer dans une ligne passée ou future ? Cette histoire nous interroge : s’agit-il d’un miracle, d’un voyage temporel, ou d’un état de conscience modifié ? Les Dormants deviennent ainsi une métaphore universelle de la foi qui se protège de l’oppression sous toutes ses formes.


Quelques versets seulement nous mettent très vite dans un état de conscience proche de la méditation. Oui, il est ici question de conscience, voire de modification d’état de conscience.


Observons les versets 18 et 19 : « Et tu les aurais cru éveillés, alors qu'ils dorment. Et Nous les tournons sur le côté droit et sur le côté gauche, tandis que leur chien est à l'entrée, pattes étendues. Si tu les avais aperçus, certes tu leur aurais tourné le dos en fuyant; et tu aurais été assurément rempli d'effroi devant eux. Et c'est ainsi que Nous les ressuscitâmes, afin qu'ils s'interrogent entre eux. L'un parmi eux dit: “Combien de temps avez-vous demeuré là ?” Ils dirent: “Nous avons demeuré un jour ou une partie d'un jour.” D'autres dirent: “Votre Seigneur sait mieux combien [de temps] vous y avez demeuré. Envoyez donc l'un de vous à la ville avec votre argent que voici, pour qu'il voie quel aliment est le plus pur et qu'il vous en apporte de quoi vous nourrir. Qu'il agisse avec tact; et qu'il ne donne l'éveil à personne sur vous. »


Sur fond d’asile et de refuge, cette histoire existe aussi dans les récits chrétiens. Elle nous livre des enseignements sur le courage, la sagesse, la fraternité, la loyauté et la solidarité face aux épreuves existentielles. Aucune vérité historique ne nous permet de situer cette histoire dans le temps et dans l’espace, avec les outils “rationnels” dont nous disposons. Cependant, ces compagnons de la caverne nous rappellent que la foi peut effrayer un pouvoir désireux de contrôler les esprits. Par de simples idées, quiconque ose remettre en cause la domination d’un système risque de se faire ostraciser. Ceci n’est pas sans rappeler la terreur et les sévices dont ont souffert les premiers musulmans dont certains ont trouvé refuge auprès du Négus d’Abyssinie au VIIe siècle, fuyant les cruauté des chefs de la tribu Quraych.


Narration partagée


On retrouve la même histoire dans des récits chrétiens. Des jeunes chrétiens auraient fui un impitoyable empereur qui voulait les pousser à renier leur foi. Ils se seraient retrouvés bloqués dans une grotte près d’Éphèse (dans l’actuelle Turquie) pour se réveiller plus de deux siècles plus tard, pensant n’avoir dormi qu’une nuit. Il y a dans les récits des traditions chrétiennes des nuances qu’on ne retrouve pas forcément dans le récit coranique. Qu’à cela ne tienne. Ce qui compte, c’est surtout cette possibilité de dialogue que les “Dormants de la Caverne” nous permettent dans un monde soumis à de dangereuses lignes de fractures.


Depuis 70 ans, chrétiens et musulmans se retrouvent autour des “Sept Dormants d'Éphèse” leurs rencontres ont pris la forme d’un voyage islamo-chrétien qui a lieu chaque quatrième week-end de juillet. Le pardon des Sept Saints réunit catholiques et musulmans sur la commune du Vieux-Marché, dans les Côtes d’Armor.


C’est en 1954 que l'orientaliste et islamologue Louis Massignon a eu l’idée d’en faire un témoignage et un engagement de la part des participants se présentant comme artisans de paix, malgré la diversité des croyances. Dans la crypte, les statues des Sept Dormants rappellent cette initiative de Massignon. Il les considérait comme des “passeurs entre le christianisme et l’islam”. La figure de Louis Massignon est incontournable pour comprendre la portée de ce pèlerinage.


Les spécialistes le décrivent comme un “catholique musulman”. Jeune, il se passionne pour les explorations coloniales qui le poussent à étudier l’histoire et la géographie, en plus de la botanique et la zoologie. Il voyage en Algérie dès l’âge de 17 ans et ne cessera de découvrir le monde musulman tout au long de sa vie. Il s’était éloigné du christianisme, mais sa proximité avec l’islam lui redonne la foi de son enfance. L’ouverture spirituelle du catholique Louis Massignon le conduit à défendre l’idée d’une réconciliation de tous les enfants d’Abraham. C’est un pionnier du dialogue islamo-chrétien.


L’histoire des “Dormants de la Caverne” transcende les frontières religieuses et temporelles pour offrir un message universel d’espoir, de foi et de résilience face à l’oppression. Qu’ils soient perçus comme un miracle, un symbole de refuge ou une métaphore spirituelle, les Dormants nous rappellent la puissance des convictions face aux défis du monde. Leur récit, partagé entre islam et christianisme, devient un pont entre les croyances.



*Article paru dans le n°42 de notre magazine Iqra.



 

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