La lecture a toujours été un pilier de la civilisation humaine. Elle constitue un vecteur essentiel d’acquisition du savoir et de transmission des valeurs, des idées et des croyances. Dans la tradition islamique, la lecture revêt une dimension particulière, d’abord en raison du premier verset révélé au Prophète Mohamed (PSL) : « Iqra' ! » (Lis !). Cet acte de lire va bien au-delà de l’acquisition d’informations ; il s’agit d’une démarche spirituelle, intellectuelle et morale. Aujourd'hui encore, la lecture continue de façonner les esprits et de relier le passé et le présent, l’héritage traditionnel à la modernité. Ce travail explore cette relation, en mettant en lumière la continuité entre la poésie préislamique, l’islam et la modernité, en particulier à travers les contributions des poètes du Prophète comme Hassan ibn Thabit, Ka'b ibn Malik et Abdullah ibn Rawaha.
La lecture dans l'islam : une obligation spirituelle et intellectuelle
L’islam accorde une importance primordiale à la lecture, à l’apprentissage et à la recherche de la connaissance. La première révélation du Coran faite au Prophète Mohamed (PSL) par l'ange Gabriel, dans la grotte de Hira, était l'injonction divine « Iqra' ! » : « Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence » (Sourate Al-‘Alaq, 96 :1-2).
Ce verset établit un lien entre la lecture et la reconnaissance de la Création divine. Le fait de lire, de méditer sur les signes d’Allah dans l’univers et sur soi-même est une démarche spirituelle. La lecture devient une voie d’accès à la connaissance de Dieu et à la compréhension de la réalité.
Le Prophète Mohamed (PSL) a constamment encouragé la quête du savoir, déclarant : « La quête de la connaissance est une obligation pour chaque musulman et chaque musulmane » (Hadith rapporté par Ibn Majah).
Cette affirmation place la lecture et l’apprentissage comme un devoir religieux, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. En islam, le savoir ne se limite pas au domaine religieux, mais englobe aussi les sciences naturelles, la philosophie, la médecine, les mathématiques, et d'autres domaines d’étude. Cette vision holistique de la lecture montre que l’islam a toujours encouragé une recherche active et critique du savoir.
La poésie préislamique : un héritage littéraire et culturel
Avant l’avènement de l’islam, la poésie tenait une place prépondérante dans la société arabe. La période de la Jahiliya (l’époque préislamique) était marquée par la culture orale, et les poètes étaient les gardiens de la mémoire collective. Ils composaient des poèmes pour célébrer les exploits de leur tribu, pour transmettre des récits historiques ou pour exprimer leurs sentiments. Les poèmes des Mu’allaqat, suspendus à la Kaaba, en sont l'exemple le plus emblématique.
Ces poèmes incarnaient des valeurs comme le courage, l’honneur, la loyauté et l’amour, des éléments qui allaient, après l’avènement de l’islam, être réinterprétés à la lumière des enseignements divins. La poésie préislamique faisait office de chronique, relatant des événements majeurs, les liens tribaux et les conquêtes. Les poètes étaient les porte-parole des tribus, chargés de défendre leur honneur et de critiquer leurs ennemis.
Les poètes du Prophète Mohamed (PSL) : défenseurs de la foi
Avec l’avènement de l’islam, la poésie est devenue un outil au service du message prophétique. Les poètes, qui jouaient un rôle de chroniqueurs dans la société arabe, se sont transformés en défenseurs de l’islam. Plusieurs compagnons du Prophète étaient aussi des poètes talentueux, et parmi eux, trois se sont particulièrement distingués : Hassan ibn Thabit, Ka'b ibn Malik et Abdullah ibn Rawaha.
Hassan ibn Thabit : le poète du Prophète
Hassan ibn Thabit, surnommé « le poète du Prophète », est célèbre pour avoir utilisé son talent poétique pour défendre l’islam contre les attaques des opposants. Avant de se convertir à l'islam, il jouissait déjà d’une grande renommée dans la société arabe. Après sa conversion, il a mis ses talents au service du Prophète, en composant des poèmes qui répondaient aux critiques des Quraysh et d'autres tribus. Le Prophète Mohamed (PSL) reconnaissait l’importance de son rôle et disait : « Allah soutiendra Hassan avec le Saint-Esprit, tant qu’il défendra le Prophète par ses poèmes » (Hadith rapporté par Al-Bukhari).
Hassan ibn Thabit a ainsi non seulement défendu la communauté musulmane, mais il a également contribué à propager les enseignements islamiques.
Ka'b ibn Malik : le poète de la repentance
Ka'b ibn Malik est un autre poète important de l'époque prophétique. Connu pour son engagement dans la diffusion de l'islam, il a aussi composé des poèmes d'une grande profondeur spirituelle. Son poème le plus célèbre est celui qu'il a écrit après avoir manqué la bataille de Tabūk, exprimant son repentir sincère. Cet acte de repentance est relaté dans le Coran, dans la Sourate At-Tawba : « Et [Il a aussi pardonné] aux trois qui avaient été laissés de côté, à tel point que la terre devint étroite pour eux dans toute son étendue » (Sourate At-Tawba, 9 :118).
Ce poème de repentance montre l’importance de la sincérité et du retour vers Allah après une erreur, et il inspire les musulmans à travers les siècles.
Abdullah ibn Rawaha : le poète de l'encouragement
Abdullah ibn Rawaha, compagnon proche du Prophète, était connu pour ses poèmes qui renforçaient le moral des musulmans, notamment en période de guerre. Sa poésie exhortait les croyants à rester fidèles à Allah et à ne pas céder aux tentations des hypocrites. Il a utilisé son art pour motiver les troupes musulmanes pendant les batailles, notamment lors de la bataille de Mu ‘ta, où il a trouvé le martyre. Ses poèmes incarnaient une foi profonde et un engagement total envers la cause islamique.
La lecture et l’Islam dans la civilisation moderne
L’importance de la lecture dans la tradition islamique continue d’influencer la civilisation moderne. Avec les avancées technologiques et l’accès massif à l’information à travers le numérique, la lecture est devenue un élément central du développement personnel et social. Toutefois, dans ce contexte moderne, il est nécessaire de se rappeler l’importance de la lecture spirituelle et réfléchie. La prolifération des informations et la vitesse à laquelle elles circulent imposent un besoin de discernement et d'approfondissement, surtout dans une ère où la superficialité menace de prendre le dessus.
L’un des aspects cruciaux de la lecture, aujourd’hui, est qu’elle permet de puiser dans les sources classiques tout en les réinterprétant pour répondre aux défis contemporains. Le lien entre le savoir traditionnel et moderne doit être renforcé, comme le montre l’organisation de prix littéraires, tels que ceux qui se déroulent à la Grande Mosquée de Paris. Ces événements mettent en lumière la continuité entre l’héritage littéraire et culturel islamique, et les aspirations du monde moderne.
Lecture, spiritualité et développement personnel
La lecture, surtout dans le contexte islamique, ne doit pas être perçue comme une simple activité intellectuelle. Elle est aussi une source d’élévation spirituelle. La lecture du Coran, en particulier, est une source inépuisable de guidance spirituelle, morale et éthique. Les musulmans sont encouragés à lire le Coran quotidiennement, non seulement pour réciter ses versets mais aussi pour en comprendre les enseignements à travers les tafsirs (exégèses).
Dans le monde contemporain, la lecture peut également aider à mieux comprendre les enjeux complexes qui façonnent la société. Par exemple, les œuvres philosophiques et littéraires, qu'elles soient classiques ou modernes, offrent aux individus une occasion de réfléchir sur le sens de la vie, la justice sociale, l’éthique et les relations humaines. En réconciliant la tradition islamique de la lecture avec les réalités modernes, il devient possible de s’élever spirituellement tout en contribuant à l'amélioration de la société.
La lecture est davantage qu'une simple activité intellectuelle ; elle est une source de développement personnel et collectif. Elle aide à forger des citoyens éclairés, capables de naviguer dans une société complexe et en constante évolution. La lecture du Coran, des hadiths et des œuvres littéraires islamiques apporte une sagesse intemporelle qui aide à orienter la vie des croyants dans le respect des principes éthiques et moraux, tout en permettant une compréhension des défis contemporains.
En s’engageant dans une lecture régulière, les musulmans peuvent approfondir leur connexion spirituelle avec Allah, tout en contribuant positivement à la société. Cela inclut l’acquisition de connaissances scientifiques et sociales qui peuvent être mises au service du bien commun. En outre, les poètes du Prophète nous rappellent que l'art et la littérature ne sont pas simplement des moyens d'expression personnelle, mais des instruments puissants de transformation sociale et spirituelle.
L’impact de la lecture sur le développement éthique
La lecture joue un rôle fondamental dans le développement de valeurs éthiques et morales. À travers les œuvres littéraires, les lecteurs peuvent explorer des dilemmes moraux, des concepts de justice, de compassion et d’empathie. Dans la tradition islamique, les récits des prophètes et les leçons tirées des hadiths incitent les lecteurs à réfléchir sur leur comportement et leurs responsabilités envers autrui. Encourager une lecture réflexive peut mener à une société plus éthique et solidaire.
La littérature comme moyen de résilience culturelle
Dans un monde de plus en plus globalisé, la lecture peut être un moyen de préserver et de transmettre les identités culturelles. La littérature islamique et arabe classique offre une richesse de perspectives et d’expériences qui peuvent enrichir la culture contemporaine. En valorisant ces œuvres, nous favorisons non seulement la diversité littéraire, mais aussi la résilience culturelle face à l’homogénéisation mondiale.
L’éducation à la lecture critique
Il est essentiel d’enseigner les compétences de lecture critique, en aidant les lecteurs à analyser et à évaluer les textes de manière réfléchie. Cela inclut la capacité à discerner les biais, à comprendre les contextes historiques et culturels des œuvres, et à engager un dialogue constructif avec le texte. Dans le cadre de l’éducation islamique, cela peut être appliqué à la lecture du Coran et des textes religieux, incitant les étudiants à interpréter ces œuvres à la lumière des défis contemporains.
La lecture et la santé mentale
Des études montrent que la lecture peut avoir un impact positif sur la santé mentale, réduisant le stress et favorisant le bien-être émotionnel. Dans le contexte islamique, la lecture des textes sacrés, comme le Coran, peut offrir réconfort et guidance spirituelle. Encourager des moments de lecture personnelle et spirituelle peut être bénéfique pour l’équilibre psychologique des individus.
Les figures féminines dans la littérature islamique
Il serait pertinent de souligner le rôle des femmes dans la tradition littéraire islamique. Des poétesses et écrivaines, telles que Al-Khansa et Fatima Al-Fihri, ont marqué l’histoire par leur contribution à la culture littéraire. Mettre en avant leurs œuvres et leurs influences pourrait inspirer les nouvelles générations et promouvoir l’égalité des genres dans l’accès à la connaissance et à la culture.
Recommandations pour renforcer la lecture dans la société moderne
Renforcer l’étude spirituelle et intellectuelle : Encourager la lecture du Coran avec une approche critique et méditative, accompagnée de tafsirs pour une compréhension approfondie et contemporaine.
Promouvoir les œuvres classiques et modernes : Enseigner les œuvres des poètes préislamiques et islamiques aux nouvelles générations tout en incluant des œuvres littéraires modernes qui interrogent les enjeux actuels.
Encourager la réflexion sur la littérature : Organiser des cercles de lecture et des événements littéraires pour engager des discussions sur les enseignements tirés de la tradition islamique et de la littérature moderne, afin de connecter le passé au présent et de relever les défis de la société contemporaine.
Intégrer la lecture dans les pratiques quotidiennes : La lecture, qu’elle soit spirituelle ou littéraire, devrait être intégrée dans la vie quotidienne des musulmans. Que ce soit à travers la lecture du Coran, d’œuvres de sagesse islamique ou de littérature moderne, cet acte permet d’élever la conscience individuelle et collective.
Créer des espaces de partage littéraire : Les institutions islamiques, mosquées et centres culturels devraient organiser des ateliers de lecture et des discussions autour de la poésie, de la littérature classique et contemporaine. Cela favoriserait une culture de réflexion et de partage des connaissances.
Conclusion
La lecture, qu’elle soit spirituelle ou littéraire, est un pilier fondamental dans la tradition islamique et continue d’avoir un impact profond sur la civilisation moderne. Le lien entre l’ordre divin de « lire » et l’héritage littéraire islamique, notamment à travers les poètes du Prophète Mohamed (PSL) comme Hassan ibn Thabit, Ka’b ibn Malik et Abdullah ibn Rawaha, montre que la lecture est à la fois une quête intellectuelle et une élévation spirituelle.
Aujourd’hui, dans un monde moderne où les connaissances et les informations circulent de manière exponentielle, la lecture conserve sa place primordiale, non seulement comme source de savoir, mais aussi comme moyen de réflexion et de développement spirituel. En continuant à valoriser la lecture, les musulmans peuvent non seulement préserver leur riche héritage, mais aussi contribuer activement à la construction d’une société moderne plus éclairée et plus juste.
La lecture devient ainsi, dans la tradition islamique et au-delà, un pont entre la foi, la connaissance et la modernité, nous rappelant que lire, c’est non seulement apprendre, mais aussi se rapprocher de la vérité et du divin.
*Article paru dans le n°33 de notre magazine Iqra.
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