Dans le contexte des défis sociaux et culturels auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, il manifeste que de nombreux individus et groupes succombent au piège des jugements précipités envers autrui. fondés tantôt sur l'apparence; tantôt sur comportements superficiels. Ces jugements ont des répercussions néfastes sur les relations sociales, favorisant la propagation de la division et de la discrimination.
Lorsque l’on prend une marque sur le front comme critère pour évaluer la profondeur de la religiosité ou du radicalisme d'une personne, dans le but de lui refuser ou de lui accorder une autorisation nécessaire pour travailler, en dépit de ses qualifications, sous prétexte de préserver le principe de neutralité dans le service public, nous sommes face à un exemple concret de préjugés injustes. Une telle situation nous invite à aborder ce phénomène tant sous l'angle religieux que social, car l’Islam aborde cette problématique de manière globale et nous exhorte à corriger ces conceptions erronées et à traiter autrui avec équité et impartialité.
Les préjugés figurent parmi les travers les plus communs dans lesquels l'être humain peut aisément tomber lorsqu'il porte des jugements ou formule des opinions à l'égard d'autrui, sur la seule base de leur apparence ou de leur façon de s’exprimer. Bien souvent, ils sont influencés par des enseignements de la société ou par des valeurs qui ont façonné leur éducation, ils devraient dépasser les apparences et insister sur le fait que l'évaluation d'une personne doit s'appuyer sur ses qualités morales et sur la profondeur de son raisonnement, plutôt que sur des critères superficiels.
Allah, le Très-Haut, déclare dans Son Livre sacré : « Ô vous qui croyez, évitez de nourrir trop de soupçons, car certains d'entre eux sont des péchés. Ne vous espionnez pas mutuellement, et ne médisez point les uns sur les autres. L’un de vous aimerait-il consommer la chair de son frère mort ? Vous en seriez horrifiés. Craignez Allah, car Allah est, certes, Celui qui accepte le repentir, le Tout Miséricordieux. » (Sourate Al-Houjourat, verset 12). Cette aya met en lumière le fait que certains soupçons sont considérés comme des péchés, soulignant ainsi que porter des jugements hâtifs sur autrui, sur la base de simples présomptions ou de conjectures erronées, entraîne des erreurs et des failles dans l'évaluation des autres, pouvant corrompre les relations sociales et favoriser la propagation des discriminations. L'espionnage et la médisance, également mentionnés dans ce verset, représentent des comportements nuisibles qui participent à la diffusion de jugements précipités et de préjugés à l'encontre des individus, car nombre de personnes se laissent influencer par des rumeurs ou des informations superficielles pour se forger une opinion, au lieu de chercher à interagir directement et sincèrement avec autrui afin de découvrir sa véritable essence.
L'exemple évoqué dans ce verset à propos de la médisance, où Allah, le Très-Haut, déclare : «L’un de vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? », illustre avec force la gravité de ces comportements sociaux destructeurs, tels que les jugements précipités. Celui qui se livre à la médisance ou qui nourrit à tort de mauvaises présomptions sur autrui est comparé à celui qui consomme la chair de son propre frère décédé, un acte abominable et répugnant, exprimant de manière explicite la condamnation de ces attitudes dégradantes. Dans le hadith de la semaine, cité dans ce numéro de notre revue, le Prophète ﷺ exprime clairement les significations de ce mauvais soupçon, qui est à l’origine des jugements injustes. Il dit : « Méfiez-vous du soupçon, car le soupçon est le plus grand des mensonges. Ne vous espionnez pas, ne vous médisez pas, ne vous jalousez pas, ne vous tournez pas le dos les uns aux autres, ne vous haïssez pas, et soyez les serviteurs d’Allah, frères les uns des autres. » (Hadith rapporté par Al-Bukhari et Mouslim).
Il convient également d’évoquer la parole d'Allah, le Très-Haut : « Ô vous qui avez cru, si un pervers vous apporte une nouvelle, vérifiezla » (Sourate Al-Houjourat, verset 6). Ce verset met en évidence l'importance de la vérification et de la prudence avant de formuler un jugement à l'encontre d'autrui. L’islam nous invite à rejeter les jugements préconçus, souvent fruits de la superficialité et de l’ignorance, et à fonder toute appréciation sur des valeurs profondes telles que la justice et l’équité, véritables fondements de l’éthique en islam.
Dans les différentes sociétés, les valeurs et traditions qui encadrent le comportement des individus varient considérablement. Dès lors, il est essentiel que nos jugements à l’égard d'autrui s'appuient sur une compréhension véritable et profonde de ce qui les caractérise, plutôt que sur des préjugés ou des apparences trompeuses. Par exemple, certaines sociétés adoptent des attitudes spécifiques envers les femmes ou les hommes, façonnées par des coutumes et des traditions souvent en décalage avec l'esprit de justice et d'égalité promu par l'Islam. L'Islam, en effet, garantit aux femmes le droit à l’éducation et au travail, ordonne un traitement respectueux ainsi qu'une interaction mutuelle empreinte de dignité entre les sexes, et souligne que la valeur d'une personne ne repose ni sur le genre ni sur l'apparence, mais bien sur la piété et la sincérité des intentions.
Le Prophète ﷺ a dit : « En vérité, Allah ne considère ni vos corps ni vos biens, mais Il observe vos cœurs et vos actions » (rapporté par Mouslim). Ce hadith nous enseigne qu'Allah, exalté soit-Il, ne juge pas les individus sur la base de leur apparence extérieure ou de leur richesse matérielle, mais selon ce qui réside en leur cœur, en termes de piété, de sincérité et de droiture.
Cependant, les jugements hâtifs ne se limitent pas à l'apparence seule. Ils se manifestent également sous la forme de préjugés, d'opinions arrêtées, de ressentiments ou de positions forgées à partir de connaissances superficielles ou de stéréotypes, souvent sans une compréhension approfondie ni une véritable interaction avec la personne ou le groupe concerné. Ces jugements préconçus, enracinés au sein d'un certain groupe social, deviennent des vérités rigides, difficiles à déconstruire, même face à des expériences nouvelles ou des connaissances enrichissantes.
Ce genre de préjugés conduit souvent à la discrimination et au racisme, car ils réduisent la complexité de la réalité sociale à des schémas simplistes et inflexibles, empêchant ainsi une vision nuancée et une compréhension authentique des autres.
Les chercheurs dans ce domaine affirment que les jugements hâtifs tendent à générer des perceptions figées, centrées sur des caractéristiques négatives attribuées à des groupes spécifiques. Ainsi, dans certaines sociétés, chaque membre d’un groupe donné est souvent réduit à un stéréotype, fondé sur une vision simpliste et généralisée. Par exemple : « Tous les musulmans sont des extrémistes », « Tous les migrants clandestins sont déviants », « Tous les Roms sont des voleurs et des kidnappeurs d'enfants ». De telles simplifications aboutissent à la négation de la diversité au sein de ces groupes, empêchant de reconnaître leur richesse humaine et leurs spécificités. Ces généralisations stéréotypées non seulement réduisent les individus à des clichés infondés, mais entravent également toute possibilité de compréhension et d’appréciation de la pluralité qui les caractérise.
Bien que ces jugements hâtifs puissent résulter d'interactions sociales complexes, de nombreuses études ont démontré leurs effets délétères sur la manière dont la société traite les minorités. Ces idées peuvent, dans certains contextes, se cristalliser en éléments constitutifs de la culture collective d'une société, et ainsi servir de justification à des comportements discriminatoires et racistes. Un auteur éminent qui a exploré cette problématique est Théodore Adorno. Dans son ouvrage La personnalité autoritaire, Adorno a souligné que les préjugés sont souvent le fruit d'un système éducatif rigide et autoritaire, qui façonne les individus en les imprégnant de perceptions préconçues à l'égard d'autrui.
Pour sa part, ‘Gordon Allport’ a examiné ce phénomène sous l’angle de la psychologie sociale, en soulignant que les jugements hâtifs sont intrinsèquement liés au processus de catégorisation mentale des individus, un mécanisme réducteur qui simplifie la complexité de la réalité sociale.
Cette tendance à étiqueter autrui sur la base de concepts superficiels compromet la compréhension mutuelle et exacerbe les tensions entre les différentes communautés. Ce processus simplificateur, loin de favoriser une réelle compréhension des particularités individuelles, contribue à la fragmentation sociale et à l’érosion du tissu collectif.
À l'inverse, Henri Tajfel avance que les préjugés contribuent à renforcer les identités sociales en affirmant la supériorité par rapport à "l'autre". En effet, lorsqu'une personne ressent que son identité est menacée ou instable, elle peut être amenée à se replier sur son groupe d'appartenance et à adopter des perceptions négatives envers les autres, afin de soutenir et consolider son identité collective. Dans ce contexte, les préjugés deviennent un mécanisme de défense permettant de préserver l'identité culturelle face à des menaces, qu'elles soient réelles ou perçues, émanant des autres. Ainsi, l'hostilité à l'égard de l'extérieur devient un outil de cohésion interne, en dépit de ses effets néfastes sur la compréhension et l'intégration sociales.
Les préjugés constituent intrinsèquement un comportement nuisible qu'il est essentiel de dépasser, car ils érigent des barrières invisibles mais puissantes entre nous et les autres, nous privant de la possibilité de comprendre réellement autrui et de vivre ensemble dans la paix et l’harmonie. L’Islam nous exhorte à transcender les apparences trompeuses et superficielles, à nous engager avec sincérité envers les principes de justice, d'équité et de respect, et à rejeter toute forme de discrimination fondée sur des critères insignifiants et superficiels. La compréhension authentique et la justice véritable sont les seuls fondements capables de favoriser l’unité de la communauté et d’en garantir l’épanouissement. Le respect de ces valeurs essentielles constitue la clé pour bâtir un tissu social résilient, où la diversité est reconnue comme une richesse, et où le développement est à la fois équilibré et inclusif.
*Article paru dans le n°40 de notre magazine Iqra.
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