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Regard fraternel (n°41) - La Reconquista : persécution et résistance culturelle en Andalousie



La Reconquista désigne une longue série de luttes militaires menées par les royaumes chrétiens d'Espagne pour reconquérir les terres occupées par les musulmans durant plusieurs siècles. Cette période, qui s'étend sur près de 800 ans, marque un affrontement complexe entre le monde chrétien et le monde musulman. Le 2 janvier 1492, la prise de Grenade par les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, met fin à la domination musulmane sur la péninsule ibérique, mais soulève aussi la question du traitement des musulmans, appelés «morisques», et de la manière dont la «fraternité chrétienne» était comprise dans un contexte de conquête.


Effacer l’Islam en Espagne médiévale sous le prétexte de l’unité religieuse


Isabelle de Castille, surnommée “la Catholique”, est une figure qui a marqué l’histoire de l’Espagne, dominée par un désir profond d’unité religieuse et nationale. Son règne, qui s’étend de 1474 à 1504, est notamment associé à la Reconquista avec la prise de Grenade en 1492, marquant la fin de la domination musulmane sur la péninsule ibérique. Toutefois, son ambition d’homogénéité spirituelle et politique a conduit à des mesures radicales, symbolisées par l’établissement de l’Inquisition espagnole et la persécution des « conversos ».


Il faut rappeler qu’un traité de Grenade a été signé en 1491 est conclu entre les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, et Mohamed XII (Abou Abdellah le petit), le dernier émir de Grenade. Il garantit théoriquement la liberté religieuse des musulmans et la protection de leurs biens en échange de leur soumission à la couronne espagnole. Ces dispositions étaient rapidement violées, conduisant à des persécutions et des conversions forcées.


Dès le début de son règne, Isabelle la catholique considère l’unité religieuse comme la clé de la stabilité du royaume et voyait dans ses actions un service rendu à Dieu et à la chrétienté. Les « conversos », bien que théoriquement chrétiens, sont soumis à une méfiance croissante, alimentée par des accusations d’hérésie et de double allégeance. En 1478, l’Inquisition est sous le contrôle direct de la couronne espagnole, devenant un puissant instrument d’État pour assurer la conformité religieuse. Le zèle inquisiteur, dirigé contre les conversos et plus tard contre les musulmans convertis (Moriscos), reflète la volonté d’Isabelle la catholique de renforcer le lien entre foi et loyauté politique.


Ainsi, Ferdinand et son épouse Isabelle ont pris sur eux la lutte contre les Arabes et les musulmans, achevant la soumission de la péninsule ibérique. L’Espagne a commencé à se positionner comme une puissance méditerranéenne. Elle s’est alors orientée vers de nouvelles découvertes géographiques, avec Christophe Colomb découvrant le « Nouveau Monde ». Grâce à sa proximité avec les pays d’Afrique du Nord, qui étaient en proie à la faiblesse et à la lutte pour le pouvoir, l’Espagne s’est efforcée d’étendre ses territoires au-delà des mers, poursuivant les musulmans qui avaient fui, en recourant à l’Inquisition, instituée par Isabelle la catholique, sous l’accusation d’hérésie.



Entre foi, tolérance, et survie d’une civilisation


Bien sûr, nous ne nous arrêtons pas simplement pour pleurer l’héritage de la civilisation andalouse, un patrimoine florissant qui s’est étendu et a rayonné à travers l’Europe. Il est essentiel de se rappeler que des figures religieuses, souvent perçues comme des exceptions dans leur époque, témoignent de la diversité des réactions face aux violences religieuses. Certaines ont cherché à préserver des espaces de tolérance ; d’autres ont tenté de réduire consciemment les souffrances infligées aux musulmans, bien que leur influence ait rarement suffi à arrêter les persécutions massives.


D’une manière ou d’une autre, ces individus ont contribué à la préservation de la culture andalouse, malgré les tentatives d’effacement et d’extermination de son peuple. Parmi eux, certains hommes d’Église, bien que ne défendant pas ouvertement les musulmans, ont joué un rôle discret mais significatif. Prenons un instant pour mettre en lumière quelques-unes de ces figures dont l’action, directe ou indirecte, a permis aux racines de l’héritage andalou de perdurer malgré les siècles écoulés.


Les « conversos » et la nouvelle religion forcée


Bien qu’ils ne soient pas des figures religieuses à proprement parler, de nombreux « chrétiens nouveaux », anciens musulmans convertis de force au christianisme, appelés « conversos » ou de manière infamante : « marranes », ont joué un rôle important dans la préservation des traditions culturelles et religieuses musulmanes au sein de la société espagnole. Certains ont mené des actions clandestines pour protéger leurs proches musulmans, des persécutions de l’Inquisition, utilisant leur position chrétienne comme un bouclier.


Ces conversos vivaient souvent dans une double clandestinité, pratiquant secrètement l’islam tout en respectant publiquement les rites chrétiens. Le courage de ces hommes et femmes, bien que souvent passé sous silence dans les récits historiques traditionnels, mérite d’être reconnu.


Des religieux catholiques aux contributions littéraires et culturelles ont joué un rôle significatif dans la préservation du riche patrimoine culturel islamique de l’Andalousie, parfois involontairement. Ces figures ont contribué à maintenir vivantes des idées, des connaissances et des traditions malgré les tentatives d’effacement systématique. Parmi eux, on peut citer :


Fray Luis de León (1527–1591)


Prêtre et poète mystique espagnol, Fray Luis de León fut une figure intellectuelle de premier plan durant la Renaissance en Espagne. Traducteur de textes bibliques, il s’intéressa également à la littérature arabe, se familiarisant avec la langue et la culture des musulmans. Son travail témoigne d’une rare ouverture d’esprit dans une époque où nombre de religieux cherchaient à effacer toute influence islamique. Sa relation avec la culture arabo-musulmane, dans un cadre chrétien, rappelle la complexité des interactions religieuses de cette période.


Le Cardinal Cisneros (1436–1517)


Francisco Jiménez de Cisneros, archevêque de Tolède et conseiller de la reine Isabelle, est souvent associé à la fermeté de la Reconquista. Pourtant, son rôle fut plus nuancé. Réformateur de l’Église, il participa à la préservation de la culture arabe malgré son manque de tolérance religieuse envers les musulmans. Sa publication de la « Polyglotte de Séville », une traduction parallèle de la Bible en plusieurs langues, dont l’arabe, révèle la complexité de sa posture. Son action, bien qu’empreinte d’enjeux politiques et religieux, laisse entrevoir une relation ambiguë avec l’héritage musulman.


Ces figures, chacune à leur manière, témoignent de la richesse des interactions humaines et religieuses dans l’Espagne d’alors, même en des temps marqués par l’intolérance et les conflits.



*Article paru dans le n°48 de notre magazine Iqra.



 

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