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Regard fraternel (n°36) - Mgr Pierre Claverie, martyr pour une Algérie unie et indivisible

Dernière mise à jour : il y a 2 jours



Mes frères et amis algériens, je vous dois à vous aussi d’être ce que je suis aujourd’hui.

Vous aussi vous m’avez accueilli et porté dans votre amitié. Je vous dois d’avoir découvert l’Algérie qui était pourtant mon pays, mais où j’ai vécu en étranger toute ma jeunesse.

Avec vous, en apprenant l’arabe, j’ai surtout appris à parler

et à comprendre le langage du cœur, celui de l’amitié fraternelle

où communient les races et les religions.”

PIERRE CLAVERIE, 2 OCTOBRE 1981


Lorsqu’on se penche sur la vie de l’évêque Pierre Claverie, les opinions divergent, certains le considèrent comme ami de l’Algérie, d’autres « Algérien par alliance ». Pourtant, ces débats s’effacent devant la réalité d’un pays, l’Algérie, où musulmans et chrétiens cohabitent côte à côte. Un exemple éloquent de ce vivre-ensemble est la mort du saint Pierre Claverie aux côtés de son chauffeur Mohamed Bouchikhi. Cet événement traduit profondément une destinée commune et une humanité partagée, faisant de Pierre Claverie un évêque pleinement algérien, dans tous les sens du terme. C’est donc en tant que citoyen algérien que nous allons l’évoquer dans notre rubrique, mettant en lumière son parcours et son engagement qui dépassent les différences religieuses et culturelles.


Biographie


Nous n’avons pas souhaité commencer par sa mort, car son nom est gravé dans la mémoire vivante de l’Algérie. En effet, Monseigneur Pierre Claverie, ou comme préféraient l’appeler ses compatriotes algériens « mon Père », est profondément lié à ce pays.


Né en 1938 à Bad El-Oued, Alger, Pierre Claverie grandit dans un environnement chrétien où il est baptisé à l’église Notre-Dame d’Afrique (Voir l’article paru dans IQRA, précédemment). Dès son jeune âge, il s’engage dans le mouvement scout « la Saint -Do d’Alger » et poursuit ses études en Algérie, obtenant son baccalauréat en mathématiques, au lycée Bugeaud d’Alger (aujourd'hui lycée Emir Abdelkader) avant de s’envoler pour la France en novembre 1957, afin d’y poursuivre des études universitaires, à l’université de Grenoble.


Il se rend vite compte que cette voie ne le passionne pas. C’est surtout la rupture avec son Algérie natale, en pleine bataille d'Alger, qui le touche profondément. Bien que peu intéressé par les questions politiques à l’époque, son arrivée en métropole, dans un milieu universitaire très politisé, marque un véritable tournant pour lui. Pourtant les dominicains œuvraient pour «l’Algérie française», et il faut rappeler qu’il était, lui-même, dominicain d’origine.


Il prend conscience des réalités de la guerre d'Algérie, notamment à travers les dénonciations de la torture et la répression de l’armée française. Ce choc intellectuel et moral va bouleverser sa vision du monde et de l’engagement. Pierre Claverie, au départ tenté par les extrêmes, est progressivement éclairé par la pensée chrétienne et les actions des jésuites, ce qui va l'amener à repenser sa propre foi et son rôle dans la société. La guerre d'Algérie devient ainsi un tournant majeur de sa vie, brisant la « bulle » de naïveté dans laquelle il vivait jusqu'alors.


Mais c’est vers la spiritualité qu’il se tourne rapidement, rejoignant le séminaire dominicain de Lille en 1958. En 1965, il est ordonné prêtre et retourne en Algérie, son pays natal, où il devient un fervent défenseur du dialogue entre les religions. Pierre Claverie s’investit pleinement pour l’Algérie, un pays qu’il chérit profondément, en dirigeant le Centre diocésain d’Alger, dédié à l’étude et à la formation linguistique, succédant à Mgr Henri Teissier (Voir l’article paru précédemment dans IQRA). En 1981, évêque d’Oran, il œuvre sans relâche pour une Algérie fraternelle et plurielle, ouverte au dialogue entre chrétiens et musulmans. Il dit dans son homélie d’ordination : « Mes frères et amis algériens, je vous dois à vous aussi d’être ce que je suis aujourd’hui. Vous aussi vous m’avez accueilli et porté dans votre amitié. Je vous dois d’avoir découvert l’Algérie qui était pourtant mon pays, mais où j’ai vécu en étranger toute ma jeunesse. Avec vous, en apprenant l’arabe, j’ai surtout appris à parler et à comprendre le langage du cœur, celui de l’amitié fraternelle où communient les races et les religions».


Pierre Claverie, une pensée immortelle


La pensée de Mgr Pierre Claverie est une vision profondément humaine et spirituelle du dialogue entre les cultures et les religions. Son engagement dépasse les simples paroles, Pour Mgr Jean-Paul Vesco, « il a donné sa vie avant de la perdre, laissant un héritage vibrant, porteur de vie et d’espérance. Sa posture demeure encore aujourd’hui une source d’inspiration. ».


Au cœur de sa pensée réside une ouverture authentique à l’autre. L’amitié, cette « lumière silencieuse », est pour lui une voie capitale de compréhension et de coexistence. Ceux qui l’ont côtoyé, musulmans ou chrétiens, voyaient en lui un frère, un ami. Sa proximité sincère marque profondément des communautés entières, qui continuent de reconnaître en lui un modèle de cohérence entre les actes et les paroles.


Pour Pierre Claverie, la rencontre avec l’autre n’est pas une option mais une nécessité, bien qu’il reconnaisse lui-même qu’elle reste l’un des plus grands défis humains. Il croit fermement à la possibilité d’un « vivre ensemble » basé sur une volonté inébranlable de dépasser les différences culturelles et religieuses. Le dialogue et l’acceptation de l’altérité étaient au cœur de ses écrits et de ses interventions. Sa pensée, à la fois spirituelle et politique dans le sens le plus noble, appelle à une responsabilité commune pour éteindre les tensions dans une Algérie meurtrie par les violences des années de braises.


Son approche de l’islam était également empreinte d’une profonde spiritualité. Proche de figures telles que Christian de Chergé, il voit dans la relation quotidienne et l’amitié vécue, une véritable porte vers une compréhension mutuelle. À travers ses mots et son action, il rappelle ce besoin de vérité pour affermir la foi.


La pensée de Pierre Claverie continue de résonner, invitant à bâtir des ponts là où d’autres érigent des murs. L’étude de son ajustement à Dieu, sujet de ses réflexions, révèle une théologie profondément ancrée dans l’humanité et l’humilité. Elle inspire encore aujourd’hui les chercheurs et les croyants en quête d’un chemin vers la vérité. Par son héritage spirituel et humain, Pierre Claverie demeure une figure lumineuse du dialogue et de la fraternité.


L’infatigable maître du dialogue et de la rencontre


Dans cette expérience faite de la clôture, puis de la crise et de l’émergence de l’individu, j’acquiers la conviction personnelle qu’il n’y a d’humanité que plurielle et que, dès que nous prétendons posséder la vérité ou parler au nom de l’humanité, nous tombons dans le totalitarisme et dans l’exclusion. Nul ne possède la vérité, chacun la recherche. Je suis croyant, je crois qu’il y a un Dieu, mais je n’ai pas la prétention de posséder ce Deux-là, ni par le Jésus qui me le révèle, ni par les dogmes de ma foi. On ne possède pas Dieu. On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres. C’est l’expérience que je fais aujourd’hui avec des milliers d’Algériens dans le partage d’une existence et des questions que nous nous posons tous. Le maître mot de ma foi est aujourd’hui le dialogue, non par tactique ou par opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux.”

PIERRE CLAVERIE


À travers ses prises de paroles et ses écrits notamment son livre titré Petit traité de la rencontre et du dialogue, la vie et la pensée de Pierre Claverie étaient profondément façonnées, justement, par la quête de la rencontre et du dialogue. Infatigable artisan du rapprochement entre des personnes d’horizons divers, il s’applique également à enrichir sa propre compréhension des autres. Dans ses enseignements et écrits, Mgr Claverie offre des réflexions empreintes de simplicité et de profondeur, permettant d’interroger les facteurs qui favorisent les relations humaines. Le maître mot de sa foi était « le dialogue, non par tactique ou opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux ». Ces paroles reflètent une philosophie de vie qu’il a incarnée jusqu’à son dernier souffle. Ce choix n’était ni un stratagème ni une concession. Au contraire, pour Mgr Pierre Claverie, le dialogue était une vertu exigeante, impliquant une quête constante de vérité, une lucidité sans faille, et un courage souvent périlleux. Jamais il ne se départira de cette attitude fondamentale, qui l’a conduit à faire preuve d’un respect et d’un amour inconditionnels pour autrui.


Ainsi, Pierre Claverie demeure une figure lumineuse du dialogue et de la rencontre, un modèle pour tous ceux qui cherchent à construire des ponts dans un monde fragmenté. La rencontre et le dialogue, qu’il considérait comme des défis permanents, restent au cœur de nos expériences humaines, qu’elles soient familiales, professionnelles ou spirituelles. Pierre Claverie nous laisse ainsi un héritage inspirant, un témoignage de foi enraciné dans une quête inlassable de fraternité et de compréhension mutuelle.


Construire « le vivre ensemble » avec le rapprochement entre Christianisme et Islam


Mgr Claverie a examiné les figures d’Abraham, de Moïse et de Marie dans les traditions chrétienne et musulmane, il invite à méditer sur la richesse de leurs récits partagés. Il se penche également sur les rencontres de Jésus, qu’elles soient des réussites ou des échecs, et sur ses relations avec les autres ainsi qu’avec le Père. Pour Mgr Claverie, le texte des Béatitudes (dans la tradition chrétienne Les Béatitudes sont des paroles prononcées par Jésus dans lesquelles il bénit ceux qui vivent selon des valeurs spirituelles et morales particulières, souvent en contraste avec les valeurs mondaines) incarne une véritable loi de la rencontre, appelant à vivre la foi, la prière et les relations au sein des communautés religieuses et ecclésiales, comme des mises en œuvre concrètes de cette dynamique.


Mgr Pierre Claverie souligne la richesse des traditions musulmane et chrétienne, tout en mettant en lumière l’originalité et le caractère parfois déroutant du message chrétien. Il citait fréquemment des textes de mystiques musulmans pour illustrer cette complémentarité, insistant sur la nécessité de reconnaître la vérité de l’autre comme un chemin vers une humanité partagée. Cette approche, qu’il développe lors de retraites prêchées entre 1985 et 1995, constitue un appel émouvant à repenser nos manières de vivre avec Dieu et avec les autres.


L’Église accomplit sa vocation quand elle est présente aux ruptures qui crucifient l’humanité dans sa chair et son unité. Jésus est mort écartelé entre ciel et terre, bras étendus pour rassembler les enfants de Dieu dispersés par le péché qui les sépare, les isole et les dresse les uns contre les autres et contre Dieu lui-même. Il s’est mis sur les lignes de fractures nées de ce péché. En Algérie, nous sommes sur l’une de ces lignes sismiques qui traversent le monde : Islam Occident, Nord/ Sud, riches/pauvres. Nous y sommes bien à notre place car c’est en ce lieu-là que peut s’entrevoir la lumière de la Résurrection.

Pierre CLAVERIE, peu avant sa disparition


Mgr Pierre Claverie, jusqu’au dernier souffle


Il faut savoir que le groupe Saint -Do a continué à se réunir en France après l’indépendance de l’Algérie, malgré l’âge avancé de ses membres, maintenant une solidarité indéfectible. L’association « Groupement des Anciens de la Saint -Do d’Alger » ne se dissoudra qu’en 2016, poursuivant ses liens par le biais d’un bulletin de liaison « Feux », et par des rencontres nationales ou régionales régulières. C’est au sein de ce groupe que Pierre Claverie a tissé des amitiés profondes, notamment avec le général Guy Maigrot, avec qui il partage, en juin 1996, son pressentiment sur la proximité de sa mort.


À Oran, il a tissé des liens profonds avec la population, sans distinction de croyances ni d’origines. Quelques jours avant son assassinat, il confiait à un proche : « Tu vois, rien que pour un homme comme Mohamed (son chauffeur), ça vaut la peine de rester dans ce pays, même au risque de sa vie. » Le 1er août 1996, il perdra tragiquement la sienne, mêlant son propre sang à celui de son fidèle chauffeur, Mohamed Bouchikhi. Ces mots témoignent de l’engagement ultime qu’il a porté tout au long de sa vie, celui de servir l’autre, jusqu’au sacrifice.


Pierre Claverie, dans sa quête de paix et d’unité pour l’Algérie, était l'exemple d'un homme engagé au service des autres, quel qu’en soit le prix. Comme de nombreux Algériens, connus ou anonymes, il meure dans ce combat. Sa participation active au débat social et politique, sur les lignes de fracture du pays, était un véritable défi quotidien où il prenait position là où l’avenir du pays se dessinait, mais aussi là où le danger était omniprésent.


En tant qu'évêque, il refusait le silence, portant sa parole avec lucidité et audace, pour dénoncer la vérité. Toujours ouvert à la rencontre, il n’hésitait pas à donner des conférences et à écrire, dans un souci constant de vérité et de compréhension mutuelle. Son héritage demeure celui d’un homme qui a voué sa vie à la rencontre, au dialogue et à la réconciliation, avec une foi inébranlable en l’autre.


Il est proclamé martyre par l’Église catholique le 27 janvier 2018, avec ses dix-huit compagnons de Tibhirine.



*Article paru dans le n°42 de notre magazine Iqra.



 

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