Le 11 novembre est une date qui renvoie les Français vers leur histoire, celle où des milliers de soldats, venus d'horizons divers, se sont tenus côte à côte, unis par l'espoir de la paix. Parmi eux, nombreux étaient ceux de confession musulmane, arrachés à leurs terres lointaines, et qui ont combattu avec bravoure et abnégation pour une France qui leur était souvent inconnue. Leurs sacrifices, longtemps relégués aux marges de la mémoire collective, méritent d'être honorés pour leur dévouement et leur solidarité face à cette épreuve commune. En cette journée de commémoration, leur histoire nous rappelle l'universalité du courage et l'humanité partagée face aux drames de la guerre. Que notre hommage résonne pour ces soldats musulmans, héros souvent oubliés qui ont combattu pour la gloire et la liberté de la République, et dont l'héritage rappelle la coexistence et la fraternité.
Sur les sentiers de mémoire, l’Armistice et l’écho des sacrifices
Le 11 novembre est devenu un jour de mémoire, symbolisant l’Armistice de 1918 qui mit fin à la Première Guerre mondiale. Ce jour là, Clémenceau, au Palais Bourbon, honore l’Alsace et la Lorraine et célèbre la Nation, bien que ce « jour de bonheur » ne pouvait effacer les souvenirs tragiques des anciens combattants de l’armée française.
Le 11 novembre 1919, une cérémonie unique se tient dans la chapelle des Invalides, en présence du maréchal Foch. Cette année-là, deux événements commémoratifs marquent également les esprits, le 14 juillet, jour de Victoire et de Paix, célébré dans la liesse, avec un hommage aux soldats vivants et ceux tombés, et le 2 novembre, premier Jour des morts de l’après-guerre, dédié aux hommages individuels des familles (mères, épouses et orphelins) en deuil.
En 1920, la Troisième République, pour son cinquantenaire, rend hommage au Soldat inconnu, représentant symbolique des Poilus. Bien qu’initialement envisagé au Panthéon, le lieu de sépulture se fixe sous l’Arc de Triomphe, grâce à une mobilisation d’écrivains et à un vote unanime du Parlement. Le 10 novembre, le soldat Auguste Thin désigne à Verdun le Soldat inconnu, dont le cercueil est ensuite escorté le 11 novembre à Paris, accompagné d’une foule immense jusqu’à l’Arc de Triomphe où il repose provisoirement, accessible à tous.
Le 28 janvier 1921, le Soldat inconnu est solennellement inhumé sous l’Arc de Triomphe avec l’inscription « Ici repose un soldat français mort pour la Patrie 1914-1918 ». Ainsi, le 11 novembre devient officiellement un jour de commémoration nationale en 1922, sous l’impulsion des anciens combattants. En 1923, André Maginot inaugure la Flamme du souvenir, un symbole ravivé quotidiennement pour honorer la mémoire des soldats.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le 11 novembre prend une signification particulière pour la Résistance. En 1940, malgré les interdictions allemandes, plusieurs milliers d’étudiants manifestent à l’Arc de Triomphe, défiant l’occupation. En 1943, les maquis de l’Ain défilent à Oyonnax pour rendre hommage aux soldats de la Première Guerre mondiale et affirmer leur engagement contre les Allemands. En 1944, après la Libération, une cérémonie franco-britannique a lieu à Paris en présence de Churchill et de Gaulle, symbolisant l’alliance contre l’Axe. Enfin, en mai 1945, les cérémonies au Mont Valérien honorent les combattants de la Résistance, affirmant l’unité nationale et la mémoire des victimes du nazisme.
Le 11 novembre, jour de commémoration de l’armistice de 1918, est aussi devenu une occasion pour revisiter l’histoire de la Grande Guerre à travers des thèmes spécifiques comme par exemple, les troupes coloniales en 1992, la contribution des Alliés en 1998, ou encore le centenaire du début du conflit en 2014. Parallèlement, depuis la loi de 2012, cette date rend hommage à tous les « morts pour la France », intégrant ainsi les soldats tombés en opérations extérieures (OPEX). Leurs noms sont désormais inscrits sur les monuments aux morts, ancrant leur mémoire dans la conscience nationale et enrichissant le souvenir collectif.
Soldats musulmans morts pour la France
Le site « Mémoire des hommes » du Ministère de la Défense recense plus de 1,3 million de militaires morts pour la France durant la Grande Guerre, avec des fiches détaillant généralement le nom, prénom, date et parfois lieu de naissance, unité, grade, ainsi que la date et lieu du décès. Ces informations incluent également un lien vers le document d'origine. Ce vaste registre, géré par la Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives, témoigne de l’ampleur des sacrifices consentis. Mort pour la France, est une mention attribuée pour un décès imputable à un fait de guerre, survenu pendant le conflit ou ultérieurement. Parmi ces soldats, bon nombre étaient de confession musulmane.
Qui étaient ces combattants et quel rôle ont-ils tenu ?
Au début du conflit en 1914, l’armée française espérait une guerre de courte durée. Mais dès les premiers mois, les pertes humaines s’avèrent immenses, obligeant la France à chercher des renforts. Elle se tourne alors vers ses colonies, d’abord l’Algérie, où le service militaire est obligatoire, puis le Maroc et la Tunisie. Les estimations du nombre de Maghrébins mobilisés varient selon les sources, certaines avançant 300 000 soldats, d’autres jusqu’à 600 000. Ainsi, des centaines de milliers de combattants sont appelés en renfort pour les lignes de front. À mesure que la guerre s’étend, le besoin en soldats augmente, poussant l'armée française à recruter, parfois de force, en Afrique subsaharienne, notamment au Sénégal, au Mali, au Tchad et en Centrafrique. Environ un tiers des conscrits sont de confession musulmane.
Les troupes maghrébines et africaines rejoignent principalement les unités d’infanterie, jouant un rôle remarquable dans le conflit. On dénombre ainsi 40 000 tirailleurs marocains, 130 000 Subsahariens, dont une grande partie est de confession musulmane, 80 000 Tunisiens et 175 000 Algériens, un chiffre donné par le président Emmanuel Macron à Alger en 2017. Ces soldats, qui ont servi sous le drapeau de la République française et porté ses couleurs avec bravoure, n’avaient pourtant pas la nationalité française. Il est utile de noter que les engagements libres sont ajoutés à la conscription des « indigènes » d’Algérie, votée en 1911-1912, et mise en œuvre dès 1914.
Bien que les cadres supérieurs étaient exclusivement métropolitains, de nombreux officiers et sous-officiers indigènes occupaient des postes subalternes. Parmi eux, le capitaine Khaled Ould el Hadj Abd el Kader, petit-fils de l’Emir Abdelkader, qui servait au 1er régiment de spahis ou tirailleurs algériens. Les troupes algériennes jouissaient d'une forte considération, car en 1913-1914, un simple tirailleur ou spahi gagnait quatre fois et demi plus qu'un soldat de 2e classe métropolitain (22 centimes par jour contre 5 centimes), à condition de faire partie des trois régiments les plus anciens. (Source : chemins de mémoire)
Entre 70 000 et 100 000 combattants musulmans ont perdu la vie pour la France durant la Première Guerre mondiale. Dans leur lutte, ils ont fait honneur aux anciennes valeurs d’héroïsme et de sacrifice, chères à la tradition musulmane, en s'engageant corps et âme contre l'ennemi. Leur engagement a témoigné des qualités distinctives de leur foi. Dotés d'une grande endurance physique, d'un mépris de la souffrance, ils ont combattu avec énergie et dévouement, gagnant ainsi l’admiration et le respect de tous.
Des nécropoles militaires comptent de nombreuses stèles ornées de symboles de l’islam, on peut citer plus de 600 à Verdun et à Notre-Dame-de-Lorette, 1 300 à Rougemont, et près de 2 000 à Suippes, dans la Marne. Dans ces carrés musulmans reposent des soldats qui ont combattu pour la France, au prix de leur existence. L’histoire se souvient des 26.000 algériens qui ont été tués ou portés disparus en 14-18 (chiffre donné par le président Emmanuel Macron lors de sa visite au cimetière de Saint Eugène à Alger en 2017).
Tirailleurs algériens et la première génération de l’émigration en France
Il faut se rappeler que leur participation à la guerre ne peut être sous-estimée, elle a eu un impact considérable sur son issue finale, en faveur de la France. Un témoignage partagé par les autorités françaises et les historiens eux mêmes. En 1924, le député Henri des Lyons de Feuchi n écrit : « Le rôle joué par les Algériens durant la Grande Guerre a été majeur. Leur contribution a été particulièrement décisive dans l'issue de la bataille de la Marne en septembre 1914. » De son côté, Augustin Bernard justifie « l'intégration » des Algériens dans le conflit comme une sorte de participation à « l'œuvre civilisatrice de la France ».
La Grande Guerre, qui a rapproché les jeunes Français de France métropolitaine, ceux de la colonie, et les soldats algériens, a créé une forme de solidarité entre eux sur le front. Elle a également suscité l’espoir chez les Algériens d’une amélioration de leur situation à la fin du conflit. Beaucoup de ces « sujets de la République» pensaient que la France leur serait reconnaissante et qu’ils auraient des droits à revendiquer.
Ils voulaient être traités comme des Français à part entière, mais l’administration coloniale, influencée par les colons puissants, a anéanti cet espoir en rétablissant, en août 1920, le Code de l’indigénat, qui avait été suspendu en 1914. Cet acte a sans doute poussé l’un des leaders historiques du mouvement national, Messali Hadj, à écrire dans ses mémoires que «la guerre mondiale n’a jamais été une guerre pour le droit et la civilisation ».
De même, l’Émir Khaled a encouragé les Algériens à s’organiser pour mener des combats politiques contre l’administration coloniale. Les indigènes qui étaient considérés comme des sujets et non pas comme citoyens, n’ont obtenu qu’exceptionnellement la nationalité française « limitée » par la loi du 4 février 1919, du fait de leur religion musulmane. Pour l’administration coloniale, le taux élevé d’analphabétisme et la pauvreté les rendaient, selon elle, incapables de participer à l’administration, et plus encore à la vie publique.
À fin de la guerre, plusieurs Algériens ont choisi de s’installer en France pour éviter le chômage endémique en Algérie et l’exploitation intense des colons, dans le cas même où ils parvenaient à trouver un emploi, bien que souvent précaire. Comme l’explique Charles-Robert Ageron, en 1918, plus d’un tiers des hommes musulmans indigènes âgés de 20 à 40 ans étaient en France, soit comme militaires, soit comme travailleurs volontaires ou réquisitionnés.
Le rapprochement des Algériens avec les cercles politiques de gauche et les syndicats en France métropolitaine a favorisé la naissance d’un mouvement national algérien très engagé et politisé. Ce n’est pas un hasard si, en 1926, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le premier parti national algérien, l'Étoile Nord Africaine, a vu le jour en France, portant pour la première fois l’exigence claire de l’indépendance.
À l’aube de ce 11 novembre, jour de commémoration, souvenons-nous de ceux qui, venus d’ailleurs, ont donné leur vie pour une patrie parfois lointaine. Leur courage et leur sacrifice méritent d’être inscrits dans les annales de l’histoire contemporaine de la France. Les soldats musulmans ont porté le poids de la guerre, partageant à la fois le fardeau et la fierté de leur engagement. En leur mémoire, sachons honorer cette histoire commune, où le courage ne connaît ni frontière ni religion.
*Article paru dans le n°39 de notre magazine Iqra
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