
Le mois de Ramadhan est riche en traditions qui rythment la vie des musulmans à travers le monde. Parmi ces pratiques on trouve le fameux coup de canon marquant l’heure de rupture du jeûne (iftar), une coutume ancrée dans l’histoire et la mémoire collective. D’où vient cette tradition ? Comment s’est-elle répandue dans les pays musulmans ? Et comment les fidèles déterminaient-ils l’heure de la rupture du jeûne avant son adoption ? Plongeons ensemble dans l’histoire de cette tradition qui, bien que moins répandue de nos jours, continue de résonner dans le cœur des musulmans.
Quand un coup de canon rime avec fête
Dès qu’on entend le mot « canon », on pense immédiatement aux armes de guerre, à la violence et à la destruction, n’est-ce pas ? Pourtant, pour les musulmans, il existe un coup de canon qui, loin d’évoquer la peur, apporte au contraire joie et soulagement : celui qui annonce l’heure de l’iftar pendant le mois de Ramadhan. Autrefois, les familles désignaient même une personne chargée d’écouter attentivement la détonation et de prévenir tout le monde, faisant de ce moment un rituel attendu avec impatience.
Au fil du temps, cette tradition est devenue un héritage social rappelant aux musulmans leur riche passé et les souvenirs des jours heureux. Avec les années, le canon de Ramadhan a cessé de retentir dans de nombreux pays arabes et musulmans, tombant peu à peu en désuétude.
Une tradition ancrée dans l’histoire
Durant les premières époques de l’islam, l’adhan (appel à la prière) était le seul moyen utilisé pour annoncer l’heure de l’iftar (rupture du jeûne) et de l’imsak (moment à partir duquel il faut s’abstenir de manger) pendant le mois de Ramadhan. À l’époque du Prophète Mohamed (paix et bénédictions sur lui), il y avait deux appels à la prière avant l’aube : l’un pour avertir les croyants de se préparer pour le Sohor (repas avant l’aube) et la prière de nuit, et l’autre pour signaler l’heure de l’imsak, marquant le début du jeûne puis, arrive l’heure de la prière du Fajr. À cette époque, les villes étaient petites et les mosquées proches, ce qui rendait inutile l’usage d’autres moyens pour annoncer ces moments importants.
Avec l’expansion des villes et la distance croissante entre les mosquées, l’idée d’utiliser un canon pour annoncer l’heure de l’iftar et de l’imsak est née.
L’origine de l’usage du canon pour annoncer l’iftar
Le canon de Ramadhan, introduit pour annoncer l’heure de l’iftar et du Sohor, aurait été utilisé pour la première fois au Caire. Selon plusieurs versions, le gouverneur mamelouk Khosh Qadam, en 1444, aurait accidentellement tiré un coup canon à la fin du premier jour de Ramadhan, ce qui fut interprété comme un signal pour rompre le jeûne. D’autres versions mentionnent son utilisation sous Mohamed Ali Pacha en 1805, suite à un accident similaire, ou sous Khédive Ismail, avec le « canon de Fatima », en référence à sa fille. Au XIXe siècle, deux canons annonçaient l’iftar à la citadelle et au palais Abbas Pacha. Après une interruption, le canon était réactivé sous l’ordre du ministre de l’Intérieur, et déplacé pour préserver les monuments historiques fragilisés. Aujourd’hui, cette coutume est répandue dans tout le pays, apportant joie et solennité durant le Ramadhan.
Une tradition séculaire en mutation
Cette tradition a évolué au fil des ans et s'est répandue dans de nombreux pays islamiques. La conception du canon a également été améliorée pour être plus sûre et plus précise. Dans certains endroits, des performances artistiques sont présentées accompagnant le tir du canon dans un cadre festif, surtout le premier jour du mois sacré.
Il a été adopté en Palestine, Syrie, Irak, au Koweït en 1907, dans le Golfe, au Yémen, au Soudan, en Afrique de l’Ouest, et en Asie. En Arabie Saoudite, le canon était un symbole important à La Mecque pendant 50 ans, avant sa cessation, en raison des l’avancées technologiques. Au Koweït, il est utilisé depuis 1907 et reste un événement important pendant ce mois béni. Le canon est également présent dans les Émirats, Bahreïn, et d’autres pays du Golfe, bien que des facteurs modernes, comme la technologie et l’insécurité, aient précipité son déclin dans certains pays. Le canon est maintenant principalement un symbole traditionnel, bien que son rôle dans la signalisation de l’heure de l’iftar demeure en usage dans plusieurs régions.
A cette époque les algériens vivaient le mois sacré entre tradition et occupation. À la Casbah, les habitants utilisaient un système ingénieux pour connaître l’heure de l’iftar : ils observaient les drapeaux hissés au sommet du minaret de la Grande Mosquée. Un drapeau blanc annonçait l’approche du coucher du soleil, remplacé par un drapeau vert au moment de la rupture du jeûne. Cette tradition a disparu dans les années 1940, remplacée par le coup de canon du Ramadhan.
Sous l’occupation française, l’armée coloniale tirait un coup de canon depuis l’Amirauté d’Alger au moment de la prière du maghreb, un signal attendu par la population. Les enfants chantaient en chœur une ritournelle en attendant la détonation, ils répétaient : « Adhan, adhan Ya Cheikh, bâch yedreb el medfa’ ! Houwa ya’mel bam bam, Ana na’mel hm hm, Houwa ma yedrebchi, Ana ma nekoulchi ! » « Appelle, appelle, Ô Cheikh, pour que le canon tire ! Lui, il fait bam bam, Moi, je fais hm hm, S’il ne tire pas, Je ne mange pas ! ».
C’était une manière amusante pour les enfants d’exprimer leur impatience en attendant la rupture du jeûne. Cette comptine illustre bien l’attachement populaire au rituel du canon du Ramadhan en Algérie.
Le canon une tradition Ramadhanesque toujours vivante
Le canon de Ramadhan est une tradition encore préservée dans plusieurs pays musulmans pour annoncer l’heure de l’iftar. En Tunisie, cette coutume ancienne a été relancée dans plusieurs villes après des années d’interruption. À Tunis, Hammamet, Kairouan, et d’autres régions, le coup de canon est un moment attendu qui ravive la mémoire collective et l’ambiance festive du mois sacré.
Au Qatar, notamment à Doha et dans le célèbre marché de Souk Waqif, le tir du canon rassemble familles et visiteurs, y compris des étrangers curieux de découvrir cette tradition. Cette pratique est un élément fort du patrimoine qatari, contribuant à renforcer le sentiment d’unité parmi les fidèles.
Aux Émirats arabes unis, la police de Dubaï organise le tir du canon dans plusieurs lieux comme la tour Burj Khalifa et la ville d’Expo Dubaï, avec des retransmissions en direct pour perpétuer cette tradition. Un « canon mobile » se déplace aussi à travers 13 quartiers de l’émirat.
En Jordanie, après plus de 50 ans d’absence, le canon de Ramadhan a fait son retour à Amman, sur le site historique de la Citadelle, redonnant à cette coutume une place importante dans les célébrations du mois sacré.
Ces pays, parmi d’autres, préservent ainsi cette tradition symbolique qui, au-delà de son rôle pratique, constitue un héritage culturel et une source de joie pour les musulmans pendant le mois sacré.
*Article paru dans le n°55 de notre magazine Iqra.
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