
Le droit d'asile politique constitue aujourd'hui un principe fondamental du droit international, assurant une protection aux personnes persécutées. Cependant, bien avant sa codification dans les textes juridiques modernes, ce concept était déjà illustré par un épisode marquant de l'histoire islamique : la première Hijra des musulmans vers l'Abyssinie, l'actuelle Éthiopie. Fuyant l'oppression mecquoise, un groupe de croyants trouvé refuge auprès du Négus, souverain chrétien reconnu pour sa justice et son équité.
L’Abyssinie, un refuge stratégique pour les compagnons du Prophète
Cet événement, marqué par la sagesse diplomatique du Prophète ﷺ et l'impartialité du monarque abyssin, incarne une conception universelle de l'asile et du leadership éclairé. À travers l'examen de cette rencontre, nous mettrons en lumière la manière dont les principes de protection et de souveraineté trouvent encore un écho dans le paysage géopolitique et juridique contemporain. Lorsque les persécutions des polythéistes à La Mecque deviennent insoutenables, le Prophète ﷺ permet à ses compagnons de se réfugier en Abyssinie. Ce fut la première émigration de l'histoire de l'islam, un exil motivé par la nécessité de préserver leur vie et leur foi.
L'Abyssinie, dirigée par le Négus, un roi juste et bienveillant, offre un refuge aux croyants persécutés. Cet événement marquant n’était pas seulement un acte de survie, mais aussi un jalon fondamental dans l'histoire des relations diplomatiques de l'islam naissant. Il montre les principes de solidarité, de tolérance et de justice qui transcendent les frontières religieuses.
Pourquoi l’Abyssinie ?
Lorsque le Prophète ﷺ a recommandé à ses compagnons de se réfugier en Abyssinie, ce choix n’était pas dû au hasard, mais bien réfléchi. Plusieurs raisons stratégiques expliquent cette décision:
1- Le règne juste du Négus : le Prophète ﷺ souligne la justice du roi abyssin en déclarant à ses compagnons : « Partez en terre d’Abyssinie, car il y règne un souverain auprès duquel nul n’est opprimé. »
2- Un roi vertueux et bienveillant : le Prophète ﷺ fait également l’éloge du Négus en affirmant « En Abyssinie règne un roi vertueux, appelé le Négus, auprès duquel personne n’est injustement traité ». Ce témoignage reflète non seulement la droiture du souverain, mais aussi son ouverture à l’Islam. En effet, profondément ému par la récitation du Coran par Jaâfar Ibn Abi Taleb, le Négus témoignait d'une compréhension juste de la figure de Jésus (paix sur lui), à l'opposé des croyances des idolâtres mecquois.
3- L’Abyssinie, un partenaire commercial de la Mecque : l’Abyssinie était un centre commercial important pour les Quraychites. Son rôle dans le commerce régional signifiait que certains musulmans connaissaient déjà ce territoire pour y avoir voyagé ou entendu parler de lui. Al-Tabari précise ainsi : « L’Abyssinie était un marché pour les Quraychites, où ils trouvaient aisance économique et sécurité. »
4- Une terre sûre et éloignée de l’influence Quraychite : à l’époque, l’Abyssinie était l’un des pays les plus sûrs en dehors de la péninsule Arabique. Elle était indépendante de l’autorité de Quraysh, ce qui en faisait une destination idéale pour échapper aux persécutions.
5- L’attachement du Prophète ﷺ à l’Abyssinie : selon l’érudit Al-Zouhri, l’Abyssinie était la terre que le Prophète ﷺ préférait pour la migration. Plusieurs raisons expliquent cet attachement :
La justice du Négus.
La proximité du christianisme avec l’Islam, contrairement à l’idolâtrie des Quraychites.
La connaissance que le Prophète ﷺ avait de ce pays.
Jaâfar Ibn Abi Taleb, leader et porte-parole des premiers réfugiés musulmans
Les premiers musulmans réfugiés ont désigné Jaâfar ibn Abi Taleb comme porte-parole pour défendre leur cause auprès du Négus. Ce choix reflète la conscience stratégique des musulmans, qui comprenaient l’importance d’une représentation unifiée et crédible. Jaâfar, par son éloquence, sa foi et sa belle apparence, a su porter la voix des persécutés.
Cette désignation trouve un écho dans les pratiques contemporaines, où les réfugiés choisissent également des porte-paroles pour défendre leurs droits sur la scène internationale. Comme à l’époque, ces représentants jouent un rôle clé dans la diplomatie et dans l’obtention de solutions pour les persécutés.
L’exemple de l’asile accordé par le Négus rappelle également la pertinence du principe de protection des réfugiés, toujours central dans les discussions internationales d’aujourd’hui.
La première Hijra des musulmans : un refuge aux résonances contemporaines
Ce premier exil, guidé par le Prophète ﷺ, démontre que le musulman peut trouver refuge même auprès d'un souverain chrétien, comme l'illustre aujourd'hui la situation des Syriens fuyant l'oppression et cherchant protection dans des pays européens. Cet épisode historique met en lumière non seulement l'universalité du droit d'asile, mais aussi la possibilité de cohabitation et de solidarité au-delà des différences religieuses et culturelles, dans le respect des principes de justice et de protection des plus vulnérables.
Des nations comme la France, l'Allemagne et la Suède ainsi que le Canada se sont engagées activement à accueillir ces populations, prolongeant ainsi les distinctions d'hospitalité et de justice universelle, semblables à celles incarnés par le Négus. Cependant, la montée des discours populistes et anti immigration dans de nombreux pays remet en question l'efficacité et la légitimité du droit d'asile. La situation géopolitique actuelle exige une réaffirmation des valeurs humanitaires fondamentales en matière de protection.
L'histoire de la première Hijra ne se résume pas à une simple quête de refuge ; elle symbolise un principe intemporel de solidarité et de justice qui transcende les époques. En ravivant aujourd'hui ces valeurs face aux crises migratoires, nous pouvons non seulement rendre hommage à cette leçon historique, mais aussi œuvrer pour un monde où, à l'image du Négus, l'humanité saura toujours offrir un havre de paix à ceux qui en ont besoin.
*Article paru dans le n°52 de notre magazine Iqra.
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Récits célestes (n°4) - Le Prophète Houd et la tribu des Aad
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