La poésie, depuis l’époque préislamique, s’impose comme le principal vecteur d’expression des arabes, un art beau, qui capte l’essence même de leur culture. Élevée au rang d'une forme d'art sacré, elle transcende les simples mots pour devenir un miroir des valeurs, des émotions et des croyances d'une civilisation en pleine effervescence. Cet article propose une réflexion sur les apports inestimables de la poésie à la culture arabo-islamique, mettant en lumière ses racines anciennes ainsi que son évolution dans un contexte où l'Islam n'est pas uniquement associé aux débats contemporains, mais également à une riche tradition artistique qui a façonné des siècles de créativité et d'expression humaine. À travers cette exploration, nous souhaitons dépasser les clichés et apprécier la poésie comme un pilier de la culture, révélatrice d’une histoire pleine de richesse et de diversité.
La poésie dans la tradition de la société arabe
La poésie, souvent décrite comme le « Diwan » des Arabes, a occupé une place capitale dans la culture arabe, devenant un véritable miroir de leur Histoire, de leurs émotions et de leurs valeurs. Comme l’a souligné le calife Omar ibn al-Khattab : « le vers poétique a transcendé le simple divertissement pour se transformer en un registre riche et détaillé de la vie des Arabes, de leurs joies et de leurs peines ». Avec l'avènement de l'islam, cette forme d'expression artistique a acquis une nouvelle dimension, reflétant les principes de foi et de spiritualité qui ont profondément marqué les âmes et les esprits des Arabes.
Le poème occupe une place prépondérante dans la culture arabe, souvent considérée comme l'une des formes d'expression les plus valorisées. En tant que reflet des douleurs et des espoirs, chez les Arabes, le poème devient le vecteur de leurs émotions et de leurs passions. Dans la période préislamique, la poésie était utilisée à des fins diverses, notamment pour décrire l'environnement désertique qui les entourait, en mettant en lumière ses multiples facettes, les dangers des voyages à travers le sable, ainsi que la faune qui y résidait. Cette capacité à capturer l'essence de leur existence et à articuler leurs luttes et leurs triomphes, fait du poème un témoin privilégié de l'expérience humaine chez les Arabes.
La poésie arabe, tout au long de son histoire, s'est illustrée par sa capacité à capturer la complexité de l'expérience humaine, qu'elle soit empreinte de bravoure ou de tendresse. Dans le cadre de la poésie de la bravoure, les poètes évoquaient les luttes et les conflits avec une intensité qui résonne encore aujourd'hui. De même, dans le domaine du « ghazal », cette forme de poésie s'est révélée comme un éloge à la beauté féminine, où chaque élément de cette beauté était comparé à la nature environnante.
La poésie à l'époque islamique
La poésie, qui occupait une place importante à l’époque préislamique, a vu son statut évoluer sous l’influence de l’islam, avant de retrouver un nouvel essor sous la dynastie omeyyade. Ce parcours, marqué par des transformations tant thématiques qu’esthétiques, révèle l’adaptabilité de cet art face aux changements socioreligieux profonds.
Avec l’avènement de l’islam, la poésie a pris une tournure plus discrète, notamment au début de la période islamique. Le Coran, en rejetant la mauvaise poésie et en critiquant certains poètes, a contribué à ce recul temporaire. De plus, la fin des rivalités tribales et l’émergence d’un sentiment religieux fort ont relégué la poésie à un second plan. Toutefois, loin de disparaître, cet art a évolué, puisant son inspiration dans les valeurs et les enseignements islamiques. Les poètes ont ainsi consacré leurs vers à des thèmes religieux, célébrant la piété, la crainte de Dieu ou encore les vertus du Prophète Mohamed (paix et salut sur lui), comme le montre ce célèbre vers de Hassan ibn Thabit appelé le poète du Prophète :
« Jamais le passé n'a connu de semblable à Mohamed,
Et personne ne lui sera jamais égal jusqu'à la Résurrection. »
Le statut de la poésie en l'Islam
L'Islam est venu établir que la poésie est un type de discours, où le bon est reconnu comme bon et le mauvais comme mauvais. Ainsi, la poésie n'est ni louée pour elle-même ni blâmée pour elle-même, mais elle est jugée en fonction de son contenu. Les savants de la religion ne diffèrent pas sur la licéité de la poésie, comme l'ont affirmé les compagnons et les érudits qui les ont suivis. En effet, il est nécessaire de recourir à la poésie pour comprendre la langue arabe, en s'appuyant sur ses vers pour l'interprétation (tafsir) des Écritures, ainsi que pour saisir les significations des paroles de Dieu, le Très-Haut, et celles de Son Messager, paix et bénédictions sur lui. Elle sert également à retracer les lignées, l'histoire et les événements des Arabes.
De nombreux compagnons ont récité de la poésie en présence du Prophète, paix et bénédictions sur lui, et leurs récits sont nombreux dans les recueils authentiques, tels que Sahih al-Bukhari et Sahih Mouslim, entre autres. Le Prophète, paix et bénédictions sur lui, a même ordonné à Hassan ibn Thabit, et à d'autres, de chanter des poèmes.
Quant à ce qui est mentionné concernant le blâme des poètes dans le Coran ou le blâme de la poésie dans la tradition prophétique, il ne s'applique qu'à ceux qui abusent de cette forme d'expression et mentent. En effet, il est fréquent que les poètes profèrent des mensonges, calomnient les chastes et attaquent les innocents, d'où le blâme général. Toutefois, il existe des exceptions pour ceux qui ne se livrent pas à de telles pratiques, comme le souligne le Très-Haut dans Son Livre : « Et les poètes, c'est eux que suivent les égarés. Ne vois-tu pas qu'ils errent dans tous les vallées ? Et qu'ils disent ce qu'ils ne font pas ? À l'exception de ceux qui croient et accomplissent des œuvres bonnes et mentionnent fréquemment Allah et se défendent après avoir été lésés. » (Ash-Shu’arâ, versets 224-227).
Époque Omeyyade
Sous les Omeyyades, la poésie a connu un renouveau éclatant, retrouvant les thèmes classiques de l’éloge, du deuil, de la satire et du flirt. Toutefois, ces sujets traditionnels ont été teints d’un esprit islamique nouveau, profondément influencés par les valeurs coraniques. Le genre amoureux, par exemple, a évolué vers une expression plus pure et chaste, où la femme était perçue avec une certaine sacralité. Cette tendance a donné naissance à la poésie du « ghazal » chaste, comme en témoignent les vers de Jamil al-Bouthayna :
« Je me plains à Dieu, non aux hommes, de son amour...
Ne crains-tu pas Dieu pour celui que tu as tué,
qui se tient devant toi, humble et suppliant ? »
L’éloge, quant à lui, s’est largement consacré à la célébration des vertus religieuses des califes et gouverneurs, inscrivant les figures du pouvoir dans un cadre moral de piété et de droiture. Un exemple frappant de ce type d’éloge est fourni par Kithar, qui loue le calife Omar ibn Abd al-Aziz :
« Tu as confirmé par tes actes la justesse de mes paroles,
et tous les musulmans s’en réjouissent.
Tu t’es détourné de ce monde avec dédain,
comme si l’on t’avait offert un breuvage amer de poison et de fiel. »
La satire, tout comme l’éloge, a été marquée par la dimension religieuse. Elle dénonçait les déviances spirituelles et l’éloignement des principes de piété. Par exemple, Dhī al-Rumah critique un groupe de chiites en des termes acerbes :
« Quant au vin, il ne t’effraie pas son buveur,
mais prends garde à ceux qui ne boivent que de l’eau !
Ils cachent ce qu'ils ont dans le cœur,
et une fois installés, ils deviennent le mal incarné. »
La poésie héroïque a également bénéficié de cette influence religieuse. Elle a souvent célébré le jihad et les conquêtes islamiques, tandis que les poèmes funéraires, imprégnés de soumission à la volonté divine, rendaient hommage aux martyrs tombés au champ de bataille.
La poésie à l’époque Abbaside
Avec l’essor de la civilisation islamique sous les Abbassides, la poésie a connu un véritable âge d’or, marqué par une innovation thématique et stylistique sans précédent. L’expansion géographique du monde islamique et les contacts avec d’autres civilisations ont joué un rôle majeur dans ce renouvellement.
Les poètes ont commencé à explorer de nouveaux horizons, intégrant des concepts philosophiques et logiques dans leurs œuvres. L’influence de la philosophie grecque, notamment, a ouvert de nouveaux champs d’expression, comme en témoigne la poésie philosophique d’Abu al-Ala al-Ma’ari :
« Je suis enfermé dans trois prisons,
ne demande rien sur ma détresse.
Privé de mes yeux, reclus chez moi,
mon âme est prisonnière d’un corps impur. »
Le renouvellement a touché tous les genres poétiques. Alors que la poésie du deuil se limitait autrefois aux personnes, elle s'est étendue aux villes et aux animaux. Un exemple éloquent de cette évolution est le poème d’Abu Yaqub al-Khuraymi sur la chute de Baghdâd :
« Ô malheur pour Bagdad, capitale des royaumes,
le destin a tourné contre ses habitants.
Où sont passés ses charmes et ses plaisirs ? »
Dans le genre du « Ghazel » l’ouverture aux autres cultures a conduit à l’émergence de termes plus osés, notamment dans la poésie liée au vin, comme chez Abu Nawas. Quant à la poésie descriptive, elle a largement évolué, passant de la description de la vie désertique à celle des palais, des jardins et des divertissements luxueux.
La poésie à l’époque des États successifs
À l’époque des dynasties successives, la poésie a malheureusement connu un déclin notable. La période, marquée par une instabilité politique et des conflits, a également vu le recul de la production littéraire. Ce fut une époque de désillusion, où la liberté d’expression s’est réduite et où la poésie a perdu de son prestige.
Beaucoup de poètes ont même abandonné l’écriture, se tournant vers des métiers manuels pour subvenir à leurs besoins. Toutefois, dans ce climat difficile, la poésie est devenue un témoin historique, relatant les victoires, les défaites et les souffrances causées par les guerres et les divisions internes.
Les croisades, notamment, ont inspiré une poésie appelant à la mobilisation pour récupérer les terres perdues, comme dans la célèbre élégie de Jérusalem d’al-Abiyurdi :
« Nous avons mêlé notre sang aux larmes amères,
il ne reste plus en nous une cible pour les projectiles.
Et la pire des armes est une larme versée
quand la guerre embrase ses feux avec des épées. »
*Article paru dans le n°36 de notre magazine Iqra.
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