
Atika Tazoumbit, une femme dont le lien avec la Grande Mosquée de Paris est aussi discret qu’exceptionnel. Si les imams la connaissent bien, elle reste toutefois inconnue pour les fidèles et les visiteurs qui franchissent les portes de ce haut lieu de prière. Pourtant, depuis dix ans, chaque mois de Ramadhan, elle est là, fidèle à un engagement dont peu soupçonnent l’existence. Qu’elle est donc la nature de cette relation si particulière ?
Une rencontre exceptionnelle avec le recteur
Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris a entendu parler d’elle, de cette femme qui, année après année, revient avec la même détermination, toujours dans l’ombre.
Intrigué et touché par son dévouement, il lui a exprimé sa gratitude et l’a chaleureusement invitée à la cérémonie de l’Aïd el-Fitr, une reconnaissance symbolique pour celle qui a tant donné sans jamais rien attendre en retour. Après beaucoup d’hésitations, Atika a finalement accepté de répondre aux questions d’IQRA. Aujourd’hui, elle se confit pour la première fois, permettant à nos lecteurs de découvrir l’histoire émouvante d’une femme qui illustre bien l’entraide et la générosité dans leur plus belle expression.
Un parcours hors du commun
Atika n’est pas une femme ordinaire. Son histoire est celle d’une Algérienne arrivée en France en 2004 pour poursuivre ses études. Diplômée d’un master en philosophie, elle s’est lancée dans un doctorat qu’elle n’a jamais pu achever. Entre les exigences de ses recherches, son travail aux côtés de son mari dans un restaurant et l’éducation de ses enfants : Thafath, 23 ans, Erouane, 17 ans, et les jumeaux Naël et Maël, 8 ans, la vie l’a poussée à faire des choix.
Avant de s’installer à Paris, elle avait enseigné la philosophie pendant cinq ans en Algérie. C’est là, dans son village natal d’Aït Youcef, à Tizi Ouzou, que sa passion pour la justice sociale s’est exprimée dès son plus jeune âge. Elle se souvient de son école primaire, dépourvue de bibliothèque. Plutôt que de se résigner, elle a pris l’initiative de créer un espace de lecture. Ce n’était pas une tâche facile, mais grâce à des dons et à l’engagement de la communauté, une petite bibliothèque a vu le jour, apportant une grande joie aux enfants. Cette action a même permis de réconcilier des personnes qui étaient en conflit depuis des années. Pendant la crise de la COVID-19, Atika n’a pas hésité à investir du temps et des ressources pour aménager l’école et garantir la sécurité des enfants, en installant des tables individuelles pour respecter les mesures sanitaires.
Une force silencieuse au service des autres
Ce qui rend Atika vraiment exceptionnelle, c’est son engagement discret et sincère auprès de la communauté. Chaque année, pendant le mois de Ramadhan, elle prépare 300 repas, ajustant la quantité selon la demande pour éviter le gaspillage. Avec l’aide de son mari et de quelques bénévoles, elle assure un service impeccable, respectant l’heure de distribution des repas. Une fois les repas préparés et prêts à être distribués, elle les dépose à la mosquée, sans chercher à savoir qui les recevra. Pour elle, la relation avec la mosquée est une question de confiance.

Atika explique que son engagement envers les plus démunis a toujours été motivé par son amour du partage. Son père, Mouloud, lui a transmis cette vision de l’islam, l’apparence ne compte pas, seules les actions parlent. Elle a grandi avec une profonde compréhension du sens du partage, de l’entraide et de la solidarité. C’est ce qu’elle a appris de sa mère, Fatima, qui, malgré les modestes moyens de la famille, partageait toujours ce qu’elle préparait avec les voisins et les plus démunis. En parlant de ses parents, Atika a voulu leur rendre hommage. Aujourd’hui, en déposant ces repas à la mosquée, Atika répond à un besoin bien plus large que celui des seuls musulmans. Le Cheikh Khaled, imam de la grande mosquée de Paris, avait affirmé que les bénéficiaires ne sont pas uniquement musulmans. À la mosquée, tout le monde est le bienvenu, quelle que soit sa foi. Aujourd’hui, pour la première fois, Atika accepte de raconter son histoire à Iqra. En ce mois de mars, dédié aux droits des femmes, son témoignage est une source de motivation, celui d’une femme qui, dans l’ombre, manifeste, et de quelle manière, la générosité, la résilience et l’espoir.
Dans la discrétion de son quotidien, Atika tisse des liens invisibles mais solides, guidée par une foi profonde et un amour du partage. Elle nous rappelle que l’essence de l’engagement ne réside pas dans la reconnaissance, mais dans les actions concrètes qui nourrissent l’âme et réchauffent les cœurs. A travers son exemple, nous voulons montrer que chaque petit geste de bienveillance peut transformer le monde et que la solidarité est une voie vers un avenir plus humain. Ça se passe dans notre Grande Mosquée, à Paris.



Comme Atika, d'autres personnes généreuses apportent, chaque jour, des repas d'iftar à la Grande Mosquée de Paris.
*Article paru dans le n°58 de notre magazine Iqra.
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