
Dans les ruelles animées de Tripoli, où le vent du large porte encore les récits d’un passé glorieux, se dresse la Mosquée Al-Naqa, une sentinelle du temps, dont les pierres racontent douze siècles d’histoire et de spiritualité. Véritable vestige de l’âge d’or islamique, elle est la plus ancienne mosquée de la vieille ville de Tripoli et l’une des premières à avoir vu le jour en Afrique du Nord, témoignant de la précocité de l’implantation de l’Islam sur ces rivages baignés par la Méditerranée.
Un nom tissé de légendes
Comme les édifices sacrés dont la mémoire se mêle aux récits de jadis, la Mosquée AlNaqa porte en son nom une énigme que le temps n’a pas dissipée. Certains évoquent une chamelle sacrée, offerte par le calife fatimide Al-Muizz li-Dîn Allah, en reconnaissance de l’accueil chaleureux des habitants de Tripoli lors de son passage en 973, alors qu’il se rendait en Égypte pour fonder Le Caire. Ce don, chargé de bénédictions, aurait permis d’agrandir et d’embellir l’édifice.
D’autres récits, plus anciens encore, lient son origine à la conquête musulmane de la Libye sous le commandement du général Amr ibn al-As en 643. Selon la légende, un tribut fut exigé des habitants de la ville : une chamelle chargée d’or, qui fut consacrée à l’édification de la première mosquée de Tripoli.
Quelle que soit son origine, son nom résonne encore comme une trace indélébile du passage des califes et des conquérants, des savants et des fidèles qui ont marqué son histoire.

Un monument précédant Al-Azhar
Construite avant même la célèbre mosquée Al-Azhar du Caire, Al-Naqa fut autrefois surnommée la "Mosquée des Dix", en référence aux premiers compagnons du Prophète qui auraient guidé l’Islam en ces contrées. Neuf cent (900) mètres carrés de sol consacrés aux prosternations et aux louanges, un sanctuaire qui fut témoin de l’aube d’une civilisation nouvelle en Afrique du Nord.
Un chef-d’œuvre de l’architecture Libyenne
L’architecture d’Al-Naqa révèle une signature libyenne unique, harmonisant les influences orientales et maghrébines dans une structure empreinte de sobriété et de grandeur. 49 sections composent son espace intérieur, dont 42 surmontées de petites coupoles, suivant un modèle architectural propre aux mosquées d’Afrique du Nord. Son plan, toutefois, dévie des canons classiques : la cour, traditionnellement positionnée derrière la salle de prière, occupe ici un emplacement latéral, rappelant les premiers sanctuaires islamiques.
Sa salle de prière, vaste et solennelle, repose sur de hautes colonnes élancées, comme pour élever les âmes vers le Divin.
Récemment rénové, son toit abrite une mer de coupoles, conférant au lieu une ambiance céleste, où la lumière se diffuse en jeux d’ombres et de clarté, appelant au recueillement.
L’héritage ottoman est également perceptible dans les arcades et les galeries qui entourent l’édifice, bien qu’elles se distinguent des mosquées traditionnelles par des voûtes entrecroisées plutôt que des dômes alignés. Une particularité qui accentue la singularité architecturale de la mosquée, témoignant du passage des siècles et des styles qui se sont entrelacés en elle.

Un minaret inspiré des hautes terres du Maghreb
Surplombant la mosquée de toute sa majesté, son minaret actuel s’élève selon le modèle maghrébin, inspiré des minarets de Kairouan, érigés au XIIᵉ siècle de l’Hégire.
Bâti sur des colonnes rondes imposantes, il rappelle les silhouettes des mosquées ancestrales du Sahara, dont la simplicité architecturale est un hommage à la pureté et à l’élévation de l’âme.
Des siècles de résistance et de renaissance
Comme tous les joyaux anciens, la mosquée Al-Naqa a traversé les tourments de l’histoire. En 1510, les bombardements espagnols sur Tripoli la laissèrent partiellement en ruines. Il fallut attendre 1610 pour que l’édifice soit restauré sous l’égide du gouverneur ottoman Safar Dey, dont une inscription gravée atteste encore aujourd’hui de l’effort de reconstruction. À chaque époque, les fidèles et les bâtisseurs ont relevé ses murs, restauré ses coupoles et veillé sur ses minarets, gardant intact le souffle de la prière, qui résonne depuis douze siècles sous sa voûte.
Un sanctuaire où vibre l’héritage spirituel de Tripoli
Al-Naqa n’est pas seulement un monument ancien : elle est un fragment d’éternité, où chaque pierre porte l’empreinte des pieux, où chaque coupole reflète les cieux immuables qui veillent sur elle. Dans cette vieille ville où les souks vibrent des éclats du jour, où les marins du large entendent l’appel du muezzin, elle demeure l’âme de Tripoli, un refuge pour les cœurs en quête d’Allah.

Aujourd’hui encore, dans l’ombre douce de ses arcades, sous la lumière dorée qui caresse son marbre ancien, les fidèles s’inclinent dans une prière qui unit le passé, le présent et l’éternité.
Et ainsi, Al-Naqa demeure, témoin des siècles et des âmes qui s’y sont prosternées, gardienne d’un Islam qui, dans la brise de Tripoli, chante encore les louanges du TrèsHaut.
*Article paru dans le n°54 de notre magazine Iqra.
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