
Dans les ruelles enchevêtrées du quartier du Capo, où résonnent encore les échos des civilisations passées, se dresse un sanctuaire discret mais porteur d’une histoire tissée de rencontres et de métamorphoses : la Mosquée de Palerme. Jadis église chrétienne, aujourd’hui maison d’Allah, elle incarne la mémoire vivante de la Sicile, ce carrefour du monde où l’Orient et l’Occident, la croix et le croissant, se sont entrelacés dans un dialogue séculaire.
Une Métamorphose Inscrite dans le Temps
L’édifice, érigé en 1591 sous le nom d’église San Paolino dei Giardinieri, fut le témoin silencieux des prières murmurées sous les voûtes baroques de Palerme. Puis vint le temps du silence et de l’oubli, lorsque les pierres sacrées furent désacralisées, abandonnées aux méandres du destin. Mais en 1990, un souffle nouveau redonna vie à ces murs : sous l’impulsion du gouvernement tunisien et de l’Association culturelle islamique, l’ancienne église fut consacrée comme mosquée, répondant aux aspirations d’une communauté musulmane grandissante.
L’alignement quasi parfait de l’édifice vers la qibla – orientation primordiale dans l’architecture des mosquées – fut perçu comme un signe du destin, comme si ces lieux avaient toujours été prédestinés à la prosternation des fidèles. L’architecte Salvo Lo Nardo, chargé de la transformation, veilla à honorer l’histoire tout en insufflant une nouvelle sacralité, où l’écho des psaumes d’autrefois s’harmonise avec les versets du Coran.

Une Architecture où se mêlent Deux Mondes
Dès que l’on franchit le seuil de la Mosquée de Palerme, le regard se pose sur une façade sobre, où subsistent encore les empreintes baroques de l’ancienne église. Un portail de pierre sculpté, encadré de pilastres aux moulures raffinées, témoigne de l’héritage architectural sicilien. Au-dessus, une inscription en arabe et en italien rappelle la nouvelle vocation du lieu, telle une passerelle entre deux confessions, un pont entre les âmes.
À l’intérieur, la lumière tamisée caresse les murs immaculés, soulignant la majesté des colonnes corinthiennes, vestiges du passé, qui élèvent le regard vers des voûtes en berceau autrefois destinées aux chants liturgiques et qui abritent désormais le silence de la prière musulmane. Les arcs en plein cintre, survivants d’une époque révolue, embrassent l’espace de leur élégance, formant un écrin où se fondent les décorations en stuc blanc d’inspiration baroque et la sobriété des calligraphies coraniques apposées çà et là, en hommage à l’Unicité divine.
Au fond, sous une niche délicatement aménagée, le mihrab, orné de motifs simples mais empreints de solennité, oriente les fidèles vers la Mecque, pivot sacré de la prière islamique. À ses côtés, le minbar, escalier de bois finement sculpté, attend l’imam pour le sermon du vendredi. Les tapis de prière, déposés avec soin sur le sol, achèvent de transformer ce lieu jadis chrétien en un sanctuaire musulman, vibrant désormais sous le souffle des invocations.

Un Pont Spirituel Entre Deux Civilisations
La Mosquée de Palerme est plus qu’un simple édifice : elle est le témoin vivant d’une histoire où le sacré transcende les frontières. Loin de renier son passé, elle s’inscrit dans cette tradition sicilienne d’échanges et de métissages, où chaque pierre porte en elle les traces d’une époque, le souffle d’une prière, l’ombre d’un croyant.
Aujourd’hui, la mosquée n’accueille pas seulement les fidèles tunisiens qui forment l’essentiel de la communauté musulmane locale, mais elle se veut aussi un espace de dialogue, une main tendue entre les fils d’Allah et les enfants du Livre. Son existence même rappelle que Palerme fut jadis un foyer de l’Islam sous les dynasties arabes, un phare du savoir et de la culture, avant que l’histoire ne redessine ses contours.
Et ainsi, dans la lueur du matin, lorsque les premiers rayons du soleil effleurent les voûtes baroques et que l’adhan résonne en silence dans le cœur des fidèles, la Mosquée de Palerme perpétue son destin, celui d’un sanctuaire où l’Orient et l’Occident s’unissent dans la prière, où l’histoire et la foi tissent ensemble une mélodie éternelle.

*Article paru dans le n°52 de notre magazine Iqra.
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