La Mosquée Ketchaoua : reflet des époques et des espoirs d’Algérie
Au pied de la Casbah d’Alger, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, s’élève la majestueuse mosquée Ketchaoua. Avec sa silhouette mêlant les courbes mauresques et les influences romano-byzantines, elle est bien plus qu'un lieu de culte : elle est le miroir de l'histoire algérienne, traversée de bouleversements et de réinventions. Témoignage d'un passé vibrant, chaque pierre de Ketchaoua porte l'empreinte d’époques successives, témoignant des aspirations et des tourments d’une nation.
Les racines ottomanes : un sanctuaire de ferveur
Si certains manuscrits évoquent une première construction au XIVe siècle, la première mention indubitable de la mosquée Ketchaoua apparaît en 1612 dans un acte de patrimoine habous. Son nom, dérivé du turc Keçi Ova — le plateau des chèvres — reflète l’essence même de ce lieu, initialement simple et humble. Sous le règne d'Hassan Pacha, Dey d'Alger, la mosquée fut transformée en 1794 pour prendre la forme grandiose qu'on lui connaît aujourd'hui. Une coupole centrale imposante couronne la salle de prière, entourée de petites coupoles annexes, dans un style qui rappelle l'élégance architecturale des édifices ottomans de Turquie et d’Asie centrale.
Les Algérois, dans leur dévotion, chérissaient Ketchaoua non seulement pour sa beauté architecturale, mais aussi pour sa position géographique, en tant que carrefour spirituel et repère dans le paysage d’Alger. Dominant les ruelles sinueuses de la Casbah, elle apparaissait comme un phare de foi, guidant les âmes vers l’union sacrée sous la coupole céleste.
La transformation en cathédrale : une épreuve coloniale
Avec la prise d’Alger en 1830, Ketchaoua devint le théâtre de la conquête française. En 1832, elle fut convertie en cathédrale Saint-Philippe, une transformation douloureuse pour les habitants, qui virent dans cette conversion une violation du traité de capitulation garantissant la liberté de culte musulman. La prise de possession de la mosquée fut un moment de tension, marquée par des confrontations entre les fidèles et les soldats, symbole poignant de la mainmise coloniale sur l’âme d’Alger.
Pendant près de 130 ans, Ketchaoua, remaniée dans un style romano-byzantin et agrandie, fut une cathédrale aux allures hybrides. Des vestiges mauresques subsistaient, comme des témoins silencieux de son origine, tandis que de nouveaux éléments catholiques redéfinissaient son architecture, mêlant ornementations arabesques et formes occidentales, dans un édifice où deux mondes se rencontraient et s’affrontaient.
La renaissance musulmane : l’Algérie retrouve son héritage
Au lendemain de l’indépendance en 1962, l'édifice est rendu à la communauté musulmane. La reconversion en mosquée ne nécessita que peu de transformations architecturales, mais sa réouverture aux fidèles marqua le retour symbolique de l’Algérie à ses racines spirituelles. La population redécouvrit et réinvestit Ketchaoua, lieu de rassemblement et de mémoire, qui reprit sa place de joyau dans le cœur des Algérois.
La restauration : une collaboration entre l’Algérie et la Turquie
En 2013, un ambitieux projet de restauration fut entrepris avec le soutien de l’Agence turque de coopération et de coordination (TIKA), témoignant des liens historiques entre l’Algérie et l’Empire ottoman. Architectes, archéologues et ingénieurs, venus des deux rives de la Méditerranée, unirent leurs efforts pour redonner à Ketchaoua son éclat originel. Les pierres des minarets furent démontées puis remplacées avec soin, révélant au passage des trésors cachés : une boutique ottomane, scellée sous le sol depuis des siècles, fut ainsi redécouverte et conservée sous verre, comme une fenêtre vers le passé.
Loin d’effacer les marques du temps, cette restauration visait à les honorer, laissant cohabiter les empreintes de l’histoire avec des éléments modernes, comme des versets coraniques calligraphiés par le maître turc Hussein Kutlu. Bien que différents des inscriptions originelles, ces versets illustrent l’attachement profond aux traditions qui unissent les peuples musulmans.
Ketchaoua : un symbole de résilience et de foi
En 2018, après dix années de fermeture, la mosquée Ketchaoua rouvrit ses portes aux fidèles pour les prières du Tarawih pendant le mois sacré de Ramadhan. Lieu de culte, de mémoire et de fierté nationale, Ketchaoua continue de veiller sur Alger, reflet de ses luttes et de sa foi inébranlable. Elle incarne aujourd’hui la persistance de l’identité algérienne, riche de ses complexités et de son histoire. Témoignage vivant de siècles de bouleversements, Ketchaoua demeure, telle une sentinelle, le symbole de l’attachement des Algérois à leurs racines spirituelles, unissant le passé et le présent dans une harmonie qui défie le temps.
Que la lumière d’El-Nour continue de baigner la mosquée Ketchaoua, inspirant chaque génération dans sa quête de paix, de foi et d’héritage partagé.
*Article paru dans le n°38 de notre magazine Iqra.
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