Ce jeudi 11 janvier 2024, le recteur Chems-eddine Hafiz a présenté ses vœux pour 2024, dressant le bilan des actions de la Grande Mosquée de Paris en 2023 et ses principales perspectives pour la nouvelle année.
Il a tenu à inviter, pour cette occasion, des représentants de l’État, des élus, des dignitaires des différentes religions, des acteurs du culte musulman et des personnalités de la vie civile engagées dans les nombreuses activités de notre institution.
Étaient notamment présents Marc Guillaume, préfet de Paris, préfet de la région d’Île-de-France, la députée Sabrina Sebaihi, Antar Hassani, conseiller-ministre de l’ambassade d’Algérie en France, Matthieu Ringot, conseiller Immigration et Cultes de Monsieur le ministre de l’Intérieur, Juliette Part, cheffe du Bureau central des cultes, Benjamin Isare, adjoint à la Maire du 5e arrondissement de Paris, Pascal Krieger, président de la Fédération protestante de France, Antony Boussemart, président de l’Union bouddhiste de France, Mgr Jean Laverton, représentant de l'archevêque de Paris, Assani Fassassi, secrétaire général de la Fédération Française des Associations Islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles.
VŒUX POUR 2024
LE DISCOURS DE CHEMS-EDDINE HAFIZ
RECTEUR DE LA GRANDE MOSQUÉE DE PARIS
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
J’ai l’immense plaisir de vous accueillir ce soir à la Grande Mosquée de Paris à l’aube de cette nouvelle année.
J’ai souhaité vous réunir, en cette circonstance, afin de vous adresser chaleureusement mes meilleurs vœux.
Je veux d’abord exprimer ma reconnaissance à celles et à ceux qui ont accompagné la Grande Mosquée de Paris, dans toutes les dimensions de ses engagements, dans tous ses aboutissements, dans les heures légères comme dans les moments les plus douloureux qui ont fait l’année 2023.
En cet instant, je pense aux âmes que nous avons perdues et à celles dont le temps n’est pas parvenu à effacer les souffrances.
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2023 s’est achevé dans la douleur.
Notre esprit est tourné vers le Proche-Orient, emporté dans une folie meurtrière.
Depuis le début de cette tragédie, la Grande Mosquée de Paris a suivi ce qu’elle estimait, au nom de l’humanisme et au devant de l’histoire, la voie la plus juste et la seule possible : l’appel à la paix.
Cette voie de la paix n’a pas été facile à tenir face à tant de tensions, mais nous l’avons suivie, et elle nous conduit aujourd’hui à nous tourner vers Gaza, à prier pour que les armes se taisent, pour que toutes les populations civiles soient épargnées, pour que les otages soient libérés, pour que la paix revienne et qu’elle s’ancre durablement par la seule solution d’un Etat palestinien vivant en sécurité aux côtés de tous les Etats de la région.
Voilà la position de la Grande Mosquée de Paris et je l’exprime, ce soir encore, avec clarté, mais aussi avec l’espérance et l’optimisme que le passage à une nouvelle année nous confère.
Aussi, nous continuerons à mettre en œuvre ce qui est en notre pouvoir pour éviter l’importation du conflit en France et pour éloigner les menaces que ce dernier fait peser sur l’unité de notre communauté nationale et sur la fraternité interreligieuse. Car je l’ai dit avec force et ne cesserait de l’affirmer : cette guerre n’a rien de religieux, ni de civilisationnel.
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Hélas, durant cette période troublée, le camp de l’extrémisme a gagné du terrain.
Ses idées néfastes sont sorties des marges dans lesquelles notre société les maintenait : elles se propagent désormais en pleine lumière, en toute banalisation, par l’intermédiaire de certains mouvements politiques et de certains médias.
Je suis monté au créneau contre la libération de la haine et de la discrimination antimusulmane. Je me suis levé contre les pires accusations portées à l’encontre de nos concitoyens musulmans. J’ai clamé que l’antisémitisme ne passerait jamais par les mosquées, et qu’un musulman, en vertu de ses croyances les plus profondes, ne pouvait pas être antisémite – que peut-on dire de plus fort que cela ?
Des lieux de culte ont été dégradés par des actes odieux.
À plusieurs reprises, j’ai saisi l’Arcom en raison de propos racistes, scandaleux, tenus sur des plateaux de télévision.
Je m’indigne à présent des différents sondages qui ont récemment ciblé nos concitoyens musulmans, en dépit de la loi sensée l’interdire et en dépit de toute déontologie, à la seule fin de les stigmatiser.
Que cherche-t-on à faire, si ce n’est à exclure les musulmans de la communauté nationale, du passé et du destin de la France ?
La Grande Mosquée de Paris sera toujours active pour s’opposer, totalement, viscéralement, à ce glissement insensé.
En 2024, nous continuerons à inventer les nouveaux moyens d’exprimer notre appartenance pleine et entière à notre pays. Nous aurons simplement à dire la réalité : dans toutes les sphères de la société, des femmes et des hommes de confession musulmane sont là, naturellement, pour assurer notre protection, pour éduquer nos enfants, pour participer à notre justice, pour nous soigner. La Grande Mosquée de Paris ne cessera de représenter toutes ces personnes qui prouvent, au quotidien, cette vérité indiscutable : il est possible de vivre sa citoyenneté et sa religion en parfait équilibre.
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Pour battre en brèche les discours qui contestent la possibilité d’être français et d’être musulman, il nous faut construire un véritable contre-discours.
C’est tout l’objectif du « Groupe de réflexion sur l’adaptation du discours islamique en France » que la Grande Mosquée de Paris a lancé en mars 2023.
Ce « Groupe de réflexion », basé sur deux commissions, l’une religieuse, l’autre issue de la société civile, réunit des personnalités de grande qualité, que je tiens à remercier vivement.
Depuis des mois, elles mènent un travail patient et intense, que nous ne voulions pas exposer avant d’être en mesure de dévoiler les premiers résultats d’ici quelques mois.
Car ce travail est, à nos yeux, d’utilité nationale.
Depuis vingt ans, au moins, l’islam est confondu avec les actes de terrorisme perpétrés en son nom et les idéologies politiques qui le manipulent : nous prenons toute la mesure des peurs et des rejets qu’il suscite.
Nous voulons par conséquent démontrer que les valeurs et les principes essentiels de l’islam s’accordent avec les valeurs et les principes de notre société et de notre République.
Nous voulons démontrer qu’il est parfaitement possible, en théorie et en pratique, de vivre comme citoyen et comme musulman dans la France du XXIe siècle, pays multiconfessionnel et sécularisé, où certaines adaptations sont nécessaires sans qu’elles n’aient à remettre en cause son dogme.
Il existe peu d’espaces pour débattre en profondeur et en toute sérénité des questions, même les plus difficiles, qui sont par ailleurs soulevées, souvent avec ignorance et hystérie, dans les arènes politiques et médiatiques. Ce groupe de réflexion en est un, et il est précieux.
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S’il nous faut renouveler le discours, il devra être porté et incarné : c’est à cet endroit qu’intervient l’imam.
Depuis mon arrivée à la tête de cette institution, je n’ai cessé de répéter combien le rôle de l’imam est absolument capital pour l’existence harmonieuse de la religion musulmane dans notre société.
Certains changements sont en cours.
En février 2020, à Mulhouse, le Président de la République Emmanuel Macron annonçait son intention de mettre un terme aux missions des imams détachés en France d’ici le début de cette année 2024.
Nous avons immédiatement réagi à cette décision puisque la Grande Mosquée de Paris et sa fédération bénéficiaient jusqu’alors de 120 imams détachés par le ministère Algérien des Affaires religieuses et des Wakfs.
Nous savions que cela laisserait un vide à combler. Les imams détachés dans les mosquées dépendantes de la Grande Mosquée de Paris avaient la chance d’être formés, expérimentés et encadrés, grâce aux efforts considérables déployés par l’Algérie pour le seul bien du culte musulman en France.
À la suite de l’annonce du Président de la République, nous avons accéléré le recrutement local des imams et renforcé notre formation de nouveaux imams.
Cette formation assurée par la Grande Mosquée de Paris a été entièrement renouvelée il y a trois ans, pour offrir aux futurs imams une connaissance approfondie de l’islam, des manières dont il doit s’inscrire vertueusement en France, des principes et des lois à respecter. La formation se trouve désormais dispensée dans six villes françaises : à Paris, aux Mureaux, à Lille, à Marseille, à Istres et près de Lyon.
Les résultats sont déjà là : nous venons de diplômer la première promotion, de 58 étudiants, issue de ce nouveau parcours, et j’en suis très fier.
Ce soir, je suis heureux de vous annoncer qu’un nouveau centre spécifiquement destiné à la formation des imams de la Grande Mosquée de Paris verra le jour à Vitry-sur-Seine, en 2024.
Ainsi, la Grande Mosquée de Paris avance, et elle avance avec des partenaires, qui seront bientôt plus nombreux. Je me réjouis notamment à l’idée de savoir que nos imams et ceux qui aspirent à le devenir profiteront des formations du nouvel Institut français d’islamologie, créé par la volonté de Monsieur le Président de la République.
Le défi qui se dresse devant nous est grand.
Nous continuerons à travailler pour que chaque imam de France puisse bénéficier d’un statut professionnel, d’un salaire digne, d’un vrai plan de carrière.
Nous espérons que l’Etat continuera de soutenir, par le dialogue, toutes les initiatives qui tendent vers ce but, et en premier lieu le Conseil national des imams qui en fait sa principale raison d’être.
C’est aussi le cas des aumôniers des hôpitaux, des armées et des prisons, auprès desquels la Grande Mosquée de Paris assure des formations, et qui ont besoin de voir leurs missions, si essentielles, être valorisées.
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Les défis de structuration et de vision pour le culte musulman sont importants en France.
Ils se présentent également à l’échelle européenne, où nous suivons avec inquiétude la progression des mouvements politiques nourris par l’intolérance.
En octobre 2023, à la Grande Mosquée de Paris, j’ai rassemblé certains des plus grands dignitaires religieux musulmans de nombreux pays d’Europe.
Nous avons créé ensemble le Conseil de Coordination AMMALE.
Les membres de cette nouvelle instance ont signé une résolution-cadre comprenant des engagements très clairs. Notre but est de montrer à quel point les musulmans européens sont déterminés à vouloir exercer leur culte dans la dignité et le respect, conformément aux législations européennes, et sont heureux de contribuer pleinement au développement et à la prospérité du continent.
Les premiers travaux du Conseil de Coordination AMMALE se poursuivront cette année.
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Chers amis,
Vous l’aurez compris, les différents chantiers que je viens de vous exposer sont les facettes d’une même pierre que nous voulons plus solide : une clé de voûte qui fait barrage à tous ce qui tend à exclure nos concitoyens musulmans de notre communauté nationale.
En 2024, d’autres projets y contribueront.
Il y a quelques jours, nous avons annoncé notre intention de procéder à une nouvelle traduction du Noble Coran, sous l’égide de la Grande Mosquée de Paris.
L’enjeu de la traduction en langue française du Livre Saint de l’islam est grand. Il s’agit de garantir que le message coranique puisse être compris, de manière appropriée, par les musulmans francophones de notre époque.
L’entreprise, à laquelle d’éminentes personnalités se sont consacrées par le passé, à commencer par mon prédécesseur le recteur Hamza Boubakeur, est longue et complexe.
Nous constituerons une équipe interdisciplinaire comprenant des théologiens, des spécialistes des études coraniques, des experts en culture islamique, des linguistes et des traducteurs de haut vol.
L’islam est une religion du Livre.
L’islam a une histoire fondamentale avec la lecture et l’écriture, initiée par la révélation coranique elle-même il y a quatorze siècles, durant la Nuit de la Destinée, où le Prophète de l’islam Mohammed (SAWS) reçut par l’archange Gabriel la parole de Dieu et ce premier verset du Coran : « ʿIqra », « Lis à haute voix ».
Convoquer le livre pour parler d’islam n’est donc pas anodin : c’est un outil extraordinaire pour découvrir les valeurs essentielles de l’islam et pour comprendre que celles-ci peuvent exister aujourd’hui, dans notre société française, sans aucune dissonance.
Et c’est pour cette raison que j’ai voulu créer le Prix Littéraire de la Grande Mosquée de Paris en 2022.
Ce Prix, qui a récompensé, en septembre dernier, les ouvrages d’Ahmad Massoud et d’Abdelkrim Saïfi, a connu un vrai succès d’estime, grâce au dévouement de son prestigieux jury, à qui j’adresse toute ma gratitude, avec une pensée très émue pour deux de ses membres qui nous ont quitté : Madame Hélène Carrère d’Encausse et Monsieur Jean-Pierre Elkabbach.
Malgré ces pertes irremplaçables, je vous annonce que le Prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris reviendra bien en 2024 pour une troisième édition.
Si l’islam nous invite à la recherche du savoir, il nous exhorte également à la générosité et à la bienveillance : rappelons que l’aumône en représente l’un des cinq piliers.
En 2023, nous avons accentué nos actions solidaires pour celles et ceux dans le besoin, pour nos jeunes et pour nos aînés démunis.
Durant le mois de Ramadan, la Grande Mosquée de Paris a lancé une opération baptisée « Les Repas Solidaires ».
Grâce à elle, grâce à la mobilisation de sa fédération et de tous les bénévoles, la Grande Mosquée de Paris a organisé et financé la distribution de 3500 repas, chaque soir, dans plus de 25 villes en France.
En 2024, nous renforcerons encore ces activités caritatives. Car je souhaite placer la nouvelle année sous le signe de la solidarité : le moindre geste, la moindre main tendue vers l’autre, sont le symbole de notre humanité commune et de la possibilité de la réinventer ici, en France.
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Mesdames, Messieurs,
2024 sera une année sans doute déterminante.
Nous continuerons à faire le pari de l’action, le pari de l’avenir, qu’importent les obstacles.
La Grande Mosquée de Paris comptera sur celles et ceux qui se reconnaissent en elle, pour le rayonnement de l’islam, pour celui de notre pays, la France.
Je vous souhaite une très belle et heureuse année 2024.
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