Selon Imran ibn Husayn (qu'Allah l'agrée), le Messager d'Allah (paix et bénédictions sur lui) nous dit :
« “Votre frère, le Négus, est décédé. Levez-vous donc et priez sur lui.”
Nous nous levâmes alors, nous nous alignâmes comme on le fait pour un défunt, et nous priâmes sur lui comme il est d'usage pour un défunt »
Rapporté par Mouslim, Hadith n°949
Ce hadith relate un épisode marquant de la vie du Prophète (paix et bénédictions sur lui) qui illustre son estime profonde et son respect envers les croyants ayant contribué au soutien de la mission islamique.
Le Négus mentionné ici est As'hama ibn Abjar, le roi d'Abyssinie, qui avait offert un refuge aux premiers musulmans à un moment critique de la propagation de l'Islam, alors qu'ils subissaient d'intenses persécutions à La Mecque. En l'an 5 avant l'Hégire, alors que les épreuves devenaient insupportables pour les musulmans, le Prophète (paix et bénédictions sur lui) leur conseilla de migrer en Abyssinie, affirmant : « Là-bas se trouve un roi auprès de qui personne n'est opprimé. »
Le Négus accueillit les musulmans avec une générosité remarquable et leur offrit un asile sûr, leur permettant de s'établir librement sur son territoire et de pratiquer leur culte sans crainte.
Par cet acte de bienveillance, le Négus est devenu un allié précieux et un symbole de justice, de tolérance et d'ouverture envers les opprimés. Son soutien inébranlable aux premiers musulmans témoigne d'une humanité exemplaire et d'un sens profond de la justice. Malgré les efforts de Quraysh, à travers Amr ibn al-'As, pour influencer le Négus et le convaincre de renvoyer les musulmans exilés, le roi rejeta catégoriquement ces requêtes après avoir écouté la défense éloquente des musulmans. En particulier, le discours de Jaâfar ibn Abi Talib, qui prit la parole au nom des exilés, eut un impact considérable lorsqu'il déclara :
« Ô majesté, nous étions un peuple plongé dans l'ignorance. Nous adorions les idoles, nous consommions les cadavres d'animaux, nous nous adonnions aux actes immoraux, nous rompions les liens familiaux et nous maltraitions nos voisins. Le plus fort parmi nous opprimait le plus faible. Puis, Allah nous envoya un Messager (paix et bénédictions sur lui) dont nous connaissions la véracité, la noblesse et la fiabilité. Il nous a appelés à adorer Allah, l'Unique, et à abandonner le culte des idoles et des pierres auxquelles nous étions attachés. Il nous a ordonné de dire la vérité, de respecter les liens de parenté, de prendre soin de nos voisins, et de nous abstenir des interdits et des choses impures. Nous avons cru en lui, nous l'avons suivi, et nous avons adhéré à la religion de vérité qu'il nous a transmise de la part d'Allah. C'est ainsi que nous nous sommes voués à Allah seul, sans rien Lui associer, et nous avons interdit ce qu'Il nous a interdit et permis ce qu'Il nous a permis. Mais notre peuple nous a pris en haine, ils nous ont persécutés et ont cherché à nous faire renier notre religion, à nous ramener à l'adoration des idoles et à nous faire reprendre les actes honteux que nous pratiquions autrefois. Lorsqu'ils ont fini par nous acculer, nous opprimer, et empêcher notre liberté de culte, nous avons quitté notre terre et cherché refuge dans votre royaume. Nous vous avons choisi, Ô majesté, de préférence à tout autre, et nous avons désiré vivre sous votre protection. Nous espérons que sous votre règne, nous ne serons pas victimes d'injustice.»
Le Négus dit alors à Jaâfar : « As-tu quelque chose de ce qui a été révélé par Dieu ? » Jaâfar répondit : « Oui. » Le Négus lui demanda alors : «Lis-le-moi. » Jaâfar lui récita un extrait du début de sourate Maryam. Le Négus en fut profondément ému, il pleura au point que sa barbe en fut trempée de larmes, et les évêques présents, touchés par ces versets, pleurèrent également, mouillant de leurs larmes les évangiles qu'ils avaient entre leurs mains. Le Négus déclara alors : « Ce que nous venons d'entendre et ce qu'a apporté Jésus (paix sur lui) proviennent véritablement de la même source. Allez-vous-en, et par Allah, je ne vous livrerai jamais ces hommes. »
Lorsque Amr ibn al-'As et Abdullah ibn Abi Rabi'a sortirent, Amr s'adressa à Abdullah en disant : « Par Dieu, demain je m'adresserai encore au Négus et j'emploierai un argument qui fera définitivement chasser ces musulmans. » Mais Abdullah ibn Abi Rabi'a l'en dissuada en disant : « Ne le fais pas. Ces gens ont des liens de parenté avec nous, même s'ils se sont opposés à nous. » Cependant, Amr persista dans son idée.
Le lendemain, Amr se rendit à nouveau auprès du Négus et lui dit : « Ô majesté, ces musulmans ont une opinion démesurée sur Jésus, fils de Marie. » Le Négus les fit alors appeler et les interrogea sur leur position à l'égard du Christ. Les musulmans furent pris de crainte, mais décidèrent unanimement de dire la vérité, quelles qu'en soient les conséquences. Lorsqu'ils furent devant le Négus et qu'il leur posa la question, Jaâfar répondit : « Nous disons au sujet de Jésus ce que nous a enseigné notre Prophète (paix et bénédictions sur lui) : il est le serviteur d'Allah, Son Messager, Son Esprit et Sa Parole qu'Il envoya à Marie, la vierge pure. » Ces mots sincères touchèrent à nouveau le Négus, et il décida de maintenir sa protection envers les musulmans réfugiés dans son royaume.
Le Négus ramassa alors un simple bâton posé au sol et déclara : « Par Allah, Jésus, fils de Marie, n’a pas dévié de ce que tu viens de dire, pas même de la largeur de ce bâton. » En cet instant, le Négus comprit pleinement que les musulmans n’étaient en rien des adversaires du christianisme, contrairement aux calomnies répandues par Quraysh. En réalité, ils partageaient des croyances fondamentales avec les enseignements chrétiens. Puis, se tournant vers les musulmans, il prononça ces mots pleins de bienveillance : « Repartez en paix, vous êtes en sécurité sur ma terre. Celui qui osera vous insulter devra en subir les conséquences, celui qui osera vous insulter devra en subir les conséquences, celui qui osera vous insulter devra en subir les conséquences. Je ne voudrais en aucun cas échanger une montagne d’or contre le fait de causer du tort à l’un d’entre vous. » Se tournant ensuite vers ses courtisans, il ordonna : « Renvoyez leurs présents aux émissaires de Quraysh, car je n'ai nul besoin de leurs cadeaux. Par Allah, Allah ne m'a pas restitué mon royaume grâce à la corruption, comment donc pourrais-je accepter un bakchich pour le préserver? Les hommes n'ont pas plié sous mon autorité en dépit de la volonté divine ; il n'est donc pas question que je suive leur désir en cette affaire. » Ainsi, Amr ibn al-'As et Abdullah ibn Abi Rabia quittèrent la cour du Négus, humiliés, leurs présents leur étant rendus sans considération. Pendant ce temps, les musulmans demeurèrent en Abyssinie, jouissant d'une terre d'hospitalité et de la protection du plus bienveillant des souverains.
Le Négus était un homme profondément versé dans la foi chrétienne et familier des enseignements de la Torah, qu’il appliquait avec rigueur dans sa vie quotidienne. Il éprouvait un profond respect pour l'Islam et les musulmans. Des années après avoir accueilli les exilés, le Prophète (paix et bénédictions sur lui) lui adressa une lettre l'invitant à embrasser l'Islam. Les historiens sont partagés quant au moment exact de sa conversion, toutefois, certaines sources indiquent qu'il embrassa l’Islam après avoir continué à approfondir les enseignements de l’islam auprès des musulmans présents en Abyssinie.
Le Négus connut un long règne durant lequel il sut préserver la sécurité et la stabilité de son royaume, malgré les conflits incessants qui agitaient la région de la mer Rouge à cette époque. Bien qu’étant un roi chrétien, il accordait une grande importance à la liberté de culte et prônait l'égalité entre les hommes. En l’an neuf de l’Hégire, le Négus s’éteignit, laissant les musulmans d’Abyssinie dans le deuil. Le Prophète (paix et bénédictions sur lui) fit alors part de la nouvelle à ses compagnons à Médine en disant : « Aujourd'hui, un homme vertueux parmi les Abyssins est décédé. Levez-vous et priez pour lui. » C’est ainsi que fut accomplie la prière funéraire à distance, "Salat al-Gha’ib", une tradition qui est suivie lorsque le défunt se trouve trop éloigné ou en un lieu inaccessible.
Les musulmans prièrent alors pour le Négus, bien qu'il fût le souverain d'une terre non musulmane. Les musulmans craignaient que les successeurs du Négus ne modifient le système établi, qui jusque-là leur avait garanti respect et protection. Toutefois, leur appréhension s'éteignit lorsque Zubair ibn al-Awwâm leur apport a la nouvelle rassurante que le Négus avait remporté la victoire dans sa lutte contre ses opposants.
Quant au lieu de sa sépulture, un mausolée situé dans le village de " Najash ", dans la région du Tigré, au Nord d l'Ethiopie, est considéré par certains comme abritant la tombe du Négus, bien que des divergences subsistent quant à savoir s'il s'agit véritablement de sa tombe ou de celle de l'un des successeurs. Le Négus demeure un symbole de justice, de miséricordes et de tolérance religieuse, des valeurs qui continuent de nourrir la fierté de l'Ethiopie.
Ces événements ont laissé une empreinte indélébile dans l'histoire commune des musulmans et des Éthiopiens. Aujourd'hui encore, musulmans et chrétiens d'Éthiopie se réjouissent de ce passé partagé, qui met en lumière l'accueil généreux et la protection accordée aux musulmans durant les périodes de persécution.
Le Négus était un modèle de justice, même lorsqu'il s'agissait de gouverner des non- musulmans, ce qui explique en partie pourquoi le Prophète (paix et bénédictions sur lui) le qualifia de « frère » dans son hadith. En effet, le Négus incarnait la justice, loin de la tyrannie et de l’oppression qui caractérisaient de nombreux souverains de son époque. Bien qu'il régnât sur une terre non musulmane, il manifesta une grande équité, non seulement envers les musulmans, mais aussi envers tous ses sujets. Ce sens aigu de la justice contribua largement à attirer de nombreux musulmans vers l'Abyssinie, offrant ainsi une porte ouverte à ceux qui cherchaient à vivre en paix et en sécurité.
Cette véritable justice, qui s'est manifestée tant par la réaction du roi chrétien que par l'impartialité de son jugement, trouve son écho dans la reconnaissance du Prophète de l'Islam (paix et bénédictions sur lui). Ce dernier a honoré le Négus en appelant publiquement à la prière funéraire à distance en sa faveur et en sollicitant le pardon divin pour lui, le qualifiant de « frère juste », indépendamment de sa religion, de son origine ou de sa nationalité.
*Article paru dans le n°42 de notre magazine Iqra.
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