Le billet du Recteur (n°60) - L’économie islamique : aux sources d’un capitalisme éthique
- Guillaume Sauloup
- 8 avr.
- 3 min de lecture

Dans un contexte où les tensions économiques entre grandes puissances ne cessent de s’intensifier, comme en témoigne la récente déclaration de la Chine se disant prête à « aller jusqu’au bout » face aux États-Unis, il est opportun de revisiter les grands modèles économiques qui façonnent nos sociétés. Alors que le capitalisme financier montre ses limites et que le modèle socialiste peine à convaincre, l’économie islamique émerge comme une alternative singulière, souvent méconnue, parfois caricaturée, mais fondée sur une vision éthique du marché et de la redistribution.
Loin d’être une utopie théologique, l’économie islamique ne rejette ni le commerce ni le profit, mais elle les encadre par des principes de justice et de responsabilité sociale.
Dès les premières révélations coraniques au VIIᵉ siècle, le commerce a été valorisé comme une activité noble, essentielle à la prospérité des sociétés humaines.
Le Prophète Mohammed (Que la paix et le salut soient sur lui) lui-même était un commerçant réputé pour son intégrité, incarnant ainsi une conception éthique des échanges économiques.
Dans cette optique, l’islam garantit la propriété privée, encourage l’entrepreneuriat et légitime la prise de risque, à condition que ces pratiques restent conformes à des principes d’équité.
Toute transaction doit reposer sur la transparence, l’honnêteté contractuelle et la loyauté dans la concurrence.
L’usure (riba), la spéculation outrancière et la vente de dettes y sont strictement prohibées, afin d’éviter la concentration abusive des richesses et les injustices économiques.
Dans cette vision, la circulation de la richesse est un impératif fondamental.
Le Coran insiste sur le fait que les biens ne doivent pas être monopolisés par une élite, mais redistribués au sein de la société.
Ce principe se concrétise notamment à travers la zakat, un des piliers de l’islam, qui impose aux croyants fortunés de reverser une partie de leur patrimoine aux plus démunis. Contrairement à un simple impôt fiscal, la zakat est perçue comme un acte de purification spirituelle qui rappelle que la richesse est un dépôt confié par Dieu et qu’elle implique des devoirs envers les autres.
À côté de cette obligation, le waqf, une fondation pieuse, permet d’affecter une partie des biens à des causes d’intérêt général, comme la construction d’écoles, le financement d’hôpitaux ou l’entretien des infrastructures publiques.
Cette tradition de philanthropie, profondément ancrée dans l’histoire des sociétés musulmanes, témoigne d’une volonté de lier la fortune individuelle à une fonction collective et sociale.
Au-delà des mécanismes économiques, l’islam propose une vision morale et ontologique du travail et de l’accumulation des biens.
Le travail est considéré comme un acte de responsabilité et non comme une simple nécessité économique.
L’accumulation de richesses n’est acceptable que si elle respecte la dignité humaine et contribue au bien-être collectif. Loin de la recherche effrénée du profit pour le profit, l’économie islamique repose sur une conception où l’homme est le gérant (khalifa) et non le propriétaire absolu des ressources mises à sa disposition. Ce rapport fiducié au monde matériel implique une gestion éthique des biens, où la surconsommation et le gaspillage sont condamnés au même titre que l’exploitation des individus.
Dans un monde en quête de nouveaux repères économiques, ces principes suscitent un intérêt grandissant, notamment à travers le développement de la finance islamique.
De nombreuses institutions bancaires adoptent aujourd’hui des produits conformes à l’éthique musulmane, fondés sur des actifs réels et bannissant l’intérêt.
Ce modèle, en évitant la titrisation excessive et les bulles spéculatives, redonne à la monnaie sa fonction première : celle d’être un moyen d’échange au service de l’économie réelle, et non un instrument de spéculation.
Des places financières occidentales comme Londres ou Paris s’intéressent de plus en plus à cette alternative, voyant en elle une réponse aux dérives du système bancaire classique.
Loin de prôner un modèle unique ou d’idéaliser un système, l’objectif n’est pas de promouvoir une économie islamique en opposition aux autres modèles, mais d’ouvrir un espace de réflexion sur la diversité des approches possibles.
À une époque où les repères économiques vacillent et où les inégalités se creusent, il est essentiel de revisiter les traditions anciennes pour y puiser des principes encore capables d’éclairer notre époque.
Trop souvent réduit à sa seule dimension spirituelle, l’islam est aussi une pensée de la Cité, qui offre une vision cohérente et structurée du vivre-ensemble et du développement économique.
Dans un monde en mutation, cette approche mérite d’être redécouverte et débattue, au-delà des préjugés et des simplifications hâtives.
À Paris, le 8 avril 2025
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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