
Le spectre de l’immigration algérienne est de retour sur le bûcher médiatique. Encore une fois, l’ignoble triptyque – précarité, regroupement familial, délinquance – est brandi comme une évidence, comme une fatalité inscrite dans le sang et la terre. Il faut que l’opinion tremble, que la peur irrigue les esprits, que le soupçon devienne doctrine. Hier, ils bâtissaient la France sous le soleil de plomb des chantiers, dans les profondeurs des mines, dans l’anonymat des usines. Aujourd’hui, leurs enfants construisent l’avenir, mais on ne veut pas les voir.
Voilà des semaines, voire des mois, que j’observe, que je lis, que j’écoute ces flots de fiel déversés sur ce que l’on nomme, avec une commode désinvolture, l’immigration algérienne. Des semaines que je vois se dresser l’accusation, non pas sur un fait, non pas sur une étude sérieuse, mais sur le prisme étroit et tordu d’un échantillon choisi : celui des OQTF, des expulsés, des visages que l’on exhibe comme des trophées de l’échec et du désordre. Des semaines que je constate l’extension du soupçon : de l’immigration algérienne, nous sommes passés à l’examen des binationaux, traquant chez eux un malaise, une faute, un crime de double appartenance.
J’ai espéré, dans ma naïveté, qu’il ne s’agissait que d’une vague passagère, d’un emballement conjoncturel. J’ai attendu, me disant que le silence finirait par l’emporter, que la raison reprendrait ses droits. Et puis, il y eut ce discours du président Emmanuel Macron, au Portugal, qui osa enfin poser les mots : non, les binationaux ne doivent pas souffrir des tensions entre Paris et Alger ; non, ils ne sont pas coupables du mal-être de la France. Un souffle de soulagement alors, un poids retiré du cœur. Enfin, un fragment de lucidité.
Mais ce fut une joie éphémère. À peine cette lueur entrevue qu’elle fut étouffée sous un nouvel amas de calomnies. Encore et toujours, l’immigration algérienne est l’objet des pires fantasmes, des pires accusations, des plus lâches manipulations politiques. Une éternelle mise en procès, une condamnation sans preuve, un prétexte inusable pour ceux qui n’ont d’autre ambition que de désigner un coupable. Mais non… ça suffit. Les binationaux ne sont pas les accusés. Si une voix devait s’élever, ce serait la leur, et ce ne serait pas pour se défendre, mais pour accuser.
Accuser les faiseurs de peur, les pourvoyeurs de haine
J’accuse ces politiciens en quête de suffrages, ces tribuns démagogues qui ont trouvé dans l’immigration leur unique fonds de commerce. J’accuse ces journalistes, mercenaires du sensationnalisme, qui ne puisent leurs chiffres que dans les abîmes de la stigmatisation, oubliant délibérément les lumières qui brillent ailleurs. Où sont-ils, ces éclaireurs de la vérité, lorsque l’on parle de Yasmine Belkaïd, directrice de l’Institut Pasteur, qui façonne l’avenir de la recherche médicale en France ? Où sont-ils quand Faïrouz Malek, physicienne de génie, explore les confins de la matière et du cosmos ?
Pourquoi, quand il s’agit d’immigration algérienne, la loupe ne zoome que sur l’ombre ? Pourquoi ne pas voir que des esprits comme Mehdi Chouiten et Ryad Boulanouar révolutionnent la finance et les nouvelles technologies ? Que dans les laboratoires, les salles d’opération, les salles de marché, les conseils d’administration, des Français d’origine algérienne tracent la voie de la prospérité française ?
Accuser la fabrication du bouc émissaire
Cette obsession de la délinquance, martelée à coups de statistiques tronquées, n’est que la vieille recette de ceux qui ont besoin d’un ennemi intérieur pour masquer leur propre faillite. Plutôt que de questionner les inégalités, plutôt que d’affronter les véritables défaillances du système, ils préfèrent l’accuser, cet autre commode, cet enfant d’ouvriers, cet héritier d’exilés.
Le regroupement familial devient un crime, comme si vivre avec les siens était une menace pour la nation. La précarité devient un stigmate héréditaire, comme si elle était l’essence même de ces hommes et de ces femmes, et non la conséquence de décennies de discrimination et d’exclusion organisée.
Accuser l’amnésie volontaire
Que sait-on de la contribution de ces hommes et femmes à la France, sinon ce que l’on veut bien en dire ? Qui se souvient que sans eux, les rues de nos villes auraient été silencieuses faute de chauffeurs de bus ? Que les hôpitaux se videraient de leurs soignants, que les universités perdraient des chercheurs brillants, que le monde de la finance se priverait d’innovateurs audacieux ?
J’accuse ceux qui font profession d’oublier que la France est aussi l’œuvre de ces fils et filles d’immigrés. Je les accuse d’entretenir une histoire tronquée, une mémoire sélective, un récit mutilé où seuls persistent les visages qui effraient.
Mais accuser surtout la lâcheté du silence
Combien encore de voix doivent s’élever pour que cesse cette infamie ? Combien de noms doivent être cités avant que l’on reconnaisse que l’immigration algérienne est aussi un creuset de réussite, de savoir et d’excellence ?
Aujourd’hui, je refuse ces mensonges sur les immigrés algériens ou les binationaux. Aujourd’hui, j’écris pour que l’on se souvienne que la France se construit avec eux, malgré eux parfois, contre eux trop souvent, mais qu’elle se construit, et qu’ils en sont la preuve éclatante.
J’accuse à mon tour ceux qui alimentent la haine et j’appelle ceux qui croient encore en la justice à ne pas se taire. Car le véritable danger pour cette nation, ce ne sont pas ces hommes et femmes que l’on stigmatise. Le véritable danger, c’est l’injustice d’un récit biaisé qui, un jour, se retournera contre ceux qui l’écrivent.
À Paris, le 4 mars 2025
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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