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Le billet du Recteur (n°50) - La Grande Mosquée de Paris : l’Être contre le Néant



Il y a des lieux qui incarnent plus que des pierres, des toits, des murs ; des lieux qui respirent l’Histoire, qui portent en eux l’écho des luttes passées et les promesses de progrès à venir. La Grande Mosquée de Paris est de ceux-là. Mais voilà qu’au détour de cette époque fracturée, où la peur et le soupçon s’érigent en juges, elle se trouve réduite, caricaturée, presque niée.


Qu’on le dise d’emblée : la Grande Mosquée de Paris n’est pas un espace vide. Elle est traversée par les flux d’une mémoire vive, celle des milliers de tirailleurs qui, dans la boue des tranchées, se sont tus sous le fracas des obus pour que la République vive. Mais il semble que certains voudraient la figer, lui imposer le silence d’un lieu désincarné, confiné à la seule répétition du rite, comme si prier ne pouvait être qu’un acte muet et sans conséquence sur le monde.


Le poids de l’histoire et l’angoisse du présent


Cette institution porte pourtant un poids. Non, pas celui de l’étranger, comme aiment à le clamer ceux qui s’embarrassent d’amalgames. Non, pas celui d’un islam fantasmé, qu’on voudrait hors de la République, hors du temps, hors de l’espace commun. Non, la mosquée porte le poids d’un rôle : celui de médiatrice, d’éveilleuse, d’artisane d’une cohésion que d’autres s’acharnent à disloquer.


Et dans ce rôle, elle se heurte à l’absurde. Ce moment où l’on attend d’elle tout et rien : qu’elle prenne la parole pour apaiser les tensions, mais qu’elle se taise pour ne pas déranger ; qu’elle assume une responsabilité spirituelle, mais qu’elle s’efface du champ social. Cette contradiction, elle l’habite, elle l’affronte. Car être une mosquée, aujourd’hui, en France, c’est refuser la disjonction entre la foi et l’action.


L’action au service de l’universel


Ils disent : « Pourquoi une mosquée organise-t-elle des colloques, des activités sociales ? Pourquoi parle-t-elle de laïcité, de citoyenneté ? », d’autres encore : « Pourquoi une mosquée débat de l’identité, de l’actualité nationale et internationale, reçoit des personnalités politiques française et étrangères » ? Mais à ces questions, il faut répondre par d’autres : « Pourquoi ces thèmes seraient-ils étrangers à la foi ? Pourquoi la spiritualité serait-elle condamnée à l’inaction, à l’attente, à l’indifférence face aux fractures de notre époque ? »


La Grande Mosquée de Paris n’esquive pas ces interpellations. Elle agit. Elle agit parce qu’elle refuse la marginalité, ce non-lieu que l’on réserve à ceux que l’on veut oublier. Elle organise des rencontres, des débats, des initiatives pour faire de l’islam ce qu’il a toujours été : une lumière dans l’obscurité, une main tendue entre l’être et l’autre. Elle se bat aussi au côté de l’État contre la radicalisation, le terrorisme, le dénouement de crises sécuritaires dont ont été victimes nos concitoyens sous d’autres cieux et … et … et …

 

Une institution prise au piège du regard de l’autre


Mais ce regard sur la mosquée, ce jugement qu’on porte sur elle, n’est jamais neutre. Il est emprunt d’une peur sourde, celle de l’Autre, du différent. Sartre disait : « L’enfer, c’est les autres. » Et cette phrase résonne ici, dans le regard que certains posent sur la Grande Mosquée. Ce regard juge, réduit, enferme.


On accuse la mosquée d’être le relais d’intérêts étrangers. Mais cette accusation est-elle réellement fondée, ou bien révèle-t-elle davantage l’angoisse de ceux qui ne savent plus où s’arrête la République et où commence l’autre ? En vérité, la Grande Mosquée de Paris est bien plus qu’une « ambassade ». Elle est un pont, un lien vivant entre la France et le monde musulman. Elle l’a été depuis sa création. Ses relations avec l’Algérie ou d’autres pays musulmans ne sont pas une menace, mais une richesse, un atout pour notre diplomatie et notre cohésion nationale. En bâtissant des ponts, elle ne divise pas : elle relie. Et dans ce rôle, elle démontre que l’islam peut être un acteur essentiel de la République, loin des fantasmes de cloisonnement ou de soumission.

 

Une liberté à reconquérir


La mosquée n’a pas le choix : elle doit être. Être face à ceux qui voudraient l’absenter. Être pour rappeler qu’il n’est pas de liberté sans reconnaissance, pas de République sans pluralité. Elle doit refuser le néant dans lequel certains voudraient la précipiter.


Car à travers elle, ce n’est pas seulement l’islam que l’on met en procès, mais l’idée même d’une société capable d’accueillir ce qui la dépasse. La Grande Mosquée de Paris est une institution, oui, mais elle est plus encore : elle est un acte de foi dans l’idéal républicain.


Et cet idéal, si l’on veut qu’il vive, il faut l’assumer tout entier. Avec ses tensions, avec ses contradictions, avec cette présence vivante qui, au cœur de Paris, rappelle que l’Autre n’est pas l’ennemi, mais une part de soi.


Non, la Grande Mosquée de Paris n’est pas uniquement une salle de prière. Elle est une déclaration. Une affirmation que, même dans l’angoisse du présent, la France peut encore choisir l’être contre le néant.



À Paris, le 27 janvier 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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