top of page

Le billet du Recteur (n°43) - Unir les âmes par la foi : méditation sur un monde déchiré en quête d’harmonie



Cette année 2024 s’achève, et avec elle, une succession d’événements qui n’ont cessé de défier notre capacité à penser le monde dans sa complexité et son devenir. Il est difficile de parcourir le panorama des conflits et des instabilités sans ressentir une forme de vertige devant les contradictions de l’homme. Ces luttes, bien que parfois enracinées dans des causes nobles, révèlent souvent la profondeur de nos failles collectives.


L’épicentre des douleurs demeure, comme une plaie jamais refermée, la terre de Palestine. Ce théâtre d’affrontements, où les aspirations à la liberté et à la dignité sont depuis longtemps étouffées par la violence, semble pris dans une spirale où la raison n’a plus droit de cité. Depuis octobre 2023, le tumulte entre Israël et Gaza s’est intensifié, une horreur telle que même sa sainteté le Pape l’a qualifié de génocide… et les espoirs de paix s’amenuisent à mesure que s’accumulent les destructions. À ces tragédies s’ajoutent des répliques dans des terres voisines : le Liban, endeuillé par la guerre, les crises politiques et économiques, voit son horizon s’assombrir encore. La Syrie, vacillante après la chute de Bachar al-Assad, hésite entre le chaos et une reconstruction incertaine. Et l’Iran, dans une surenchère avec Israël, semble prêt à embraser toute la région. L’Afrique, l’Asie et même l’Europe n’échappent pas à ce constat amer de tension.


Mais au-delà des faits, c’est une question fondamentale qui s’impose à nous : que signifie aujourd’hui « vivre ensemble » dans un monde où chaque dissension paraît devenir une fracture insurmontable ? Ces conflits, souvent drapés d’un voile religieux, ne traduisent-ils pas d’abord une lutte pour le pouvoir, un mépris des faibles et une instrumentalisation des croyances pour servir des intérêts qui n’ont rien de sacré ?


Malheureusement, il faut le dire avec franchise : les institutions internationales, tout comme les grandes puissances, semblent paralysées. Leur incapacité à résoudre ces crises témoigne moins de leur faiblesse que de leur indifférence. Les guerres qui déchirent le Sahel,  les massacres au Myanmar, les vagues incessantes de réfugiés qui errent sans port d’attache, tout cela se déroule sous leurs yeux, et pourtant les réponses tardent ou manquent de souffle. Est-ce par cynisme ou par lassitude ? Peut-être un peu des deux.


Mais au-delà de cet héritage, 2024 nous exhorte à cette interrogation brûlante : comment cesser d’être les artisans de nos propres malheurs ? Et si les leçons du passé ne suffisent pas à nous guider, alors peut-être le futur, cet inconnu encore vierge, pourra-t-il nous inspirer à mieux faire.

À cet égard, il n’est pas illégitime de s’interroger sur le rôle que pourraient jouer les figures spirituelles dans cette vaste entreprise de réconciliation. Ces conflits trouvent fréquemment leur expression première dans des revendications identitaires, souvent mal comprises, exacerbées ou manipulées. Pourtant, derrière cette façade, les motivations sont rarement d’ordre purement religieux.


Les guides religieux, en rappelant la dimension universelle et pacifique des valeurs qu’ils représentent, pourraient offrir un antidote aux discours de haine et aux dérives sectaires. Il ne s’agit pas de leur confier la politique ou les armes, mais de leur reconnaître une fonction essentielle : celle de mettre un miroir devant les consciences et de rappeler que l’humanité est une, malgré ses mille différences. Alors, au risque de laisser croire que je mêle religion et politique, ce qui n’est pas mon propos, je souhaite rappeler des moments où les religieux ont su jouer un rôle apaisant et constructif.


L’histoire de l’humanité, si souvent traversée de convulsions et de ruptures, témoigne pourtant d’éclaircies où des hommes inspirés par une foi sincère ont su apaiser les tourments de leur époque. Ces figures, transcendantes par leur vision et leur humanité, ont démontré que les convictions religieuses, loin d’attiser les conflits, peuvent offrir des solutions où règnent dialogue et respect. Une méditation sur leur rôle impose de reconnaître les moments où la foi a incarné une force de réconciliation.


Lorsque l’on évoque la foi comme source de paix, il est naturel de se tourner vers l’Islam, dont l’histoire offre de nombreux exemples lumineux d’harmonie et de tolérance.


Lorsque Mohammed, paix et salut sur lui, se leva parmi les tribus divisées de l’Arabie, il apporta non seulement une révélation, mais un modèle de coexistence. Le Traité de Hudaybiya, pacte scellé avec les Qurayshites, illustre cette sagesse : ce compromis, perçu comme une faiblesse par certains, ouvrit la voie à l’établissement de bases solides pour une société unifiée. Loin des démonstrations de force, c’est dans la stratégie de paix qu’il puisa la transformation des cœurs et des esprits.


Sous le califat d’Umar ibn al-Khattab, cette leçon trouva un prolongement remarquable. Lors de l’expansion des territoires musulmans, il établit un pacte de coexistence avec les populations chrétiennes et juives – une avancée inédite pour l’époque, quoi qu’en disent les polémistes d’aujourd’hui. En garantissant leurs droits et leurs institutions, il offrit un exemple qui traversa les âges, celui d’une gouvernance éclairée, où l’altérité n’est pas une menace, mais une richesse.

Quelques siècles plus tard, cette tradition de sagesse trouva un nouvel écho dans la figure de Saladin, dont la reconquête de Jérusalem fut marquée par une humanité remarquable. Il refusa les violences gratuites et préféra la voie de la clémence. Cette attitude, rare en des temps marqués par la brutalité, fit de lui une figure respectée au-delà des frontières religieuses, unificateur plutôt que conquérant.


De l’Islam, qui offre tant de leçons sur la coexistence et la sagesse, il est enrichissant de se tourner vers l’Europe médiévale, où la foi chrétienne, à son tour, servit à modérer l’avidité humaine.

En Europe, la violence des féodalités trouva un contrepoint dans les initiatives de l’Église médiévale, malgré les pouvoirs temporels qu’elle exerçait. La Paix de Dieu, instituée à la fin du Xe siècle, appelait à protéger les innocents dans un monde en proie à la brutalité. La Trêve de Dieu, proclamée par la suite, imposa des périodes de repos dans les conflits, témoignant d’une volonté de modérer les instincts guerriers par des principes universels.


Le XVIe siècle, marqué par les guerres de Religion, vit émerger des figures comme Michel de L’Hospital, dont la voix s’éleva contre les divisions fratricides entre catholiques et protestants. Par son action, il prépara la voie à l’Édit de Nantes, symbole d’une paix possible dans une France déchirée.


Après l’Europe, il est essentiel de porter un regard sur les autres continents, où la foi, sous diverses formes, a continué à nourrir des actes d’humanisme et de solidarité.


L’émir Abd el-Kader, au XIXᵉ siècle, incarna l’idéal de l’islam comme refuge. Lors des massacres de Damas en 1860, il protégea les chrétiens persécutés, rappelant au monde que la foi peut transcender les clivages et être un sanctuaire pour tous. Ce geste résonne encore comme un modèle d’humanisme inspiré. En Afrique du Sud, Desmond Tutu porta l’héritage de cette vision universaliste. À travers la Commission vérité et réconciliation, il fit de la mémoire un outil de guérison collective, prouvant que la foi, lorsqu’elle se conjugue avec le pardon, peut réparer même les blessures les plus profondes. En Asie, l’Organisation de la Coopération Islamique joua un rôle déterminant dans le processus de paix aux Philippines. Par sa médiation, elle permit l’accord de 1996, offrant une autonomie au peuple Moro.


Enfin, que l’on regarde vers l’Orient ou l’Occident, le Sud ou le Nord, il est clair que les religions, dans leurs manifestations les plus nobles, ont souvent transcendé les clivages pour bâtir des ponts entre les peuples.


Il est tentant de réduire la religion à ses excès et ses dérives, mais cela reviendrait à méconnaître ses potentialités profondes. Les figures que nous avons évoquées sont autant de rappels que la foi, lorsqu’elle s’élève au-dessus des mauvaises passions humaines, peut être un outil puissant pour réparer les fractures. Dans un monde déchiré, leur exemple demeure une leçon précieuse : la paix, plus qu’un rêve, est une œuvre qui exige de chacun sagesse, courage et constance.


À travers ces récits, l’histoire nous enseigne une vérité simple mais essentielle : les religions, lorsqu’elles sont guidées par des intentions sincères, sont des forces de réconciliation. Les hommes de foi, qu’ils soient prophètes, imams, évêques, rabbin ou moines, ont souvent transcendé les frontières de leur temps pour rappeler une vérité universelle : la paix n’est pas une utopie, mais une responsabilité commune. Que leurs exemples nous inspirent à bâtir un monde où la foi, loin de diviser, devient une source d’unité.



À Paris, le 10 décembre 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

RETROUVEZ TOUS LES BILLETS DU RECTEUR SUR CETTE PAGE :


Comments


bottom of page