Il est des récits qui transcendent les âges et les frontières, des symboles qui se dressent face aux flammes et aux ruines, portant l’éclat de l’éternité. Lorsque les voûtes de Notre-Dame de Paris s’effondrèrent, laissant derrière elles un silence assourdissant et une mémoire brûlée, une image survécut : celle de la Vierge Marie, intacte, avec pour seule marque une coulée de plomb figée sur sa main. Ce moment, gravé dans la conscience collective, est bien plus qu’un événement. Il est le signe d’une figure universelle, d’un nom qui traverse les langues, les croyances, et les cœurs : celui de Marie, ou Meriem, comme nous aimons l’appeler en terre musulmane.
Qu’il me soit permis de vous raconter, en ce jour empreint de lumière où renaît la cathédrale Notre-Dame de Paris, l’histoire et l’importance du prénom Meriem, un trésor sonore que mes oreilles ont entendu dès ma tendre enfance, résonnant dans les ruelles de mon pays natal, l’Algérie, et au-delà, dans tout l’univers musulman.
Meriem, douce variation du nom Marie, n’est pas seulement une appellation, mais un héritage sacré et universel. Dans le Livre Saint des musulmans, le Coran, elle est évoquée avec une rare élévation. Meriem, fille d’Imran, est la seule femme à être mentionnée par son nom dans le Coran. Ce privilège divin témoigne de sa pureté, de sa foi et de son rôle exceptionnel dans l’histoire spirituelle de l’humanité.
Dans la sourate qui porte son nom, Sourate Maryam, son récit est un chant sacré à la dévotion et à l’humilité. Meriem est choisie au-dessus de toutes les femmes du monde, comme le dit Allah dans le Coran :
« Et quand les anges dirent : "Ô Maryam, Allah t’a élue et purifiée ; et Il t’a élue au-dessus des femmes des mondes." » (Coran, 3:42).
C’est elle qui enfanta, par un miracle divin, le prophète Jésus (Issa, paix sur lui), sans l’intervention d’un père. Ce fait extraordinaire est non seulement reconnu, mais honoré dans notre religion. Meriem est pour nous l’exemple parfait de la foi et d’obéissance à la volonté divine. Elle incarne la patience face aux épreuves et l’espoir en la miséricorde de Dieu.
Dans mon Algérie natale, le prénom Meriem était souvent prononcé avec tendresse et révérence, comme une invocation discrète à la grâce. Je me souviens des mères qui, en berçant leurs enfants, murmuraient ce nom, espérant que leurs filles grandissent avec la pureté et la force de celle qu’il évoque. De la Méditerranée aux confins du désert, ce prénom porte avec lui une mélodie universelle : celle d’un lien entre les cultures, une passerelle entre les traditions chrétiennes et musulmanes.
C’est aussi, pour les musulmans du monde entier, un rappel de l’unité des messages divins. Marie, ou Meriem, est une figure de convergence, un pont entre les Écritures et les cœurs. En l’évoquant, nous rappelons que la foi n’est pas le pré carré d’une partie des Hommes ou d’une autre, mais une lumière qui guide chacun de nous.
Dans chaque syllabe, il y a une histoire, une prière, un lien sacré qui lie également église et mosquée : les lieux de prière, qu’ils soient habillés de pierre ou de bois, d’arcs gothiques ou de coupoles dorées, sont des refuges de l’âme, des demeures où le souffle du divin se mêle aux soupirs des fidèles. Entre l’église et la mosquée, il n’est pas seulement question d’architecture ou de rituels, mais d’une parenté profonde, tissée par la recherche commune de l’Absolu.
La figure de Meriem, qui transcende les frontières confessionnelles, incarne à elle seule ce lien sacré. En son nom, la prière s’élève, qu’elle naisse du murmure d’un rosaire ou des versets du Coran. Elle est la mère spirituelle dont les enfants, bien que dispersés sur des chemins différents, convergent vers une même lumière.
En Islam, les églises ne sont pas des lieux étrangers ; elles sont reconnues comme maisons de Dieu, des espaces où le nom de Dieu est souvent invoqué. Dans l’histoire musulmane, le respect des églises et des monastères a été non seulement prêché, mais codifié. Le Prophète Mohammed (paix et salut sur lui) déclara un jour :
« Celui qui nuit à un chrétien ou à un juif vivant sous notre protection me nuit directement ».
De la même manière, les musulmans se sont souvent réfugiés dans les églises en temps d’épreuve, et inversement, les mosquées ont accueilli des communautés chrétiennes en quête de paix. Ces lieux sacrés, bien qu’appartenant à des traditions différentes, partagent une finalité commune : l’élévation vers Dieu, l’éveil de l’âme, et le rappel de l’éphémère face à l’éternité.
Même pendant les temps de conflit et de guerre, dans les conquêtes et les reconquêtes, l’interchangeabilité entre les églises et les mosquées, au grès des détenteurs du pouvoir, incarnait l’adaptabilité du sacré face aux bouleversements de l’histoire. Oscillant entre appropriation et restitution, ces édifices sont devenus les témoins et les acteurs des rivalités religieuses. Mais ils révèlent aussi une porosité entre les confessions, où chaque transformation architecturale réinterprète une quête commune de transcendance. En leur sein, les pierres murmurent une leçon intemporelle : le spirituel dépasse les divisions humaines, se réinventant au gré des siècles pour abriter l’immuable.
La sacralité des liens entre mosquée et église repose sur une vérité profonde : le souffle divin, qui a façonné Adam, est le même pour tous. Les différences de rites et de paroles ne sont que les branches d’un même arbre, nourri par les racines de la foi. Lorsqu’un musulman entend le tintement des cloches ou qu’un chrétien perçoit l’appel à la prière, il y a, dans cet instant, une reconnaissance tacite de l’autre comme frère dans l’humanité et dans la recherche spirituelle.
Voici pour l’histoire, quant au présent et au-delà du culte, Notre-Dame est Paris. Et Paris est aussi en moi, l’enfant d’une autre rive, amoureux de cette ville et de ses symboles. Elle, cathédrale des cathédrales, elle est un souffle ancien qui murmure aux oreilles des passants que l’histoire, avec ses conflits et ses réconciliations, peut toujours bâtir et préserver un lieu de paix. J’ aime Notre-Dame, non seulement pour ce qu’elle représente, mais pour ce qu’elle inspire : la transcendance et l’espérance.
Lorsque le feu a ravagé tes entrailles en 2019, je me souviens de cette douleur qui a traversé les rues de Paris, comme un deuil collectif. En elle, je n’ai pas seulement vu une cathédrale chrétienne, mais un trésor universel, une œuvre façonnée par des siècles d’efforts humains, une maison de Dieu où même un musulman peut poser ses regards et sentir l’écho du divin. Comme des millions d’autres, j’ai prié pour que tu renaisses, pour que tes voûtes reprennent leur chant silencieux et que tes vitraux racontent à nouveau leur histoire rayonnante.
Dans son ombre, je me sens chez moi, comme tant d’autres musulmans de cette ville.
Le récent article de La Croix, intitulé « Notre-Dame de Paris : ce patrimoine est aussi celui des Français musulmans », met en lumière l'importance de la cathédrale Notre-Dame pour les citoyens musulmans et la contribution des Français musulmans aux efforts de restauration de la cathédrale après l'incendie de 2019, illustrant leur engagement envers la préservation du patrimoine national.
Pour ma part, j’affirme que Notre-Dame de Paris, dans sa majesté millénaire, porte en elle une relation sacrée, un lien profond qui résonne avec la Grande Mosquée de Paris. Elle est une sœur ancienne, un lieu où la quête du divin trouve une autre voix, mais une voix sœur, familière et harmonieuse. Les deux édifices, bien que différents dans leur forme et leur culte, se rejoignent dans leur essence : celle de servir de ponts entre le ciel et la terre, entre l’éphémère et l’éternité.
Cette fraternité entre Notre-Dame et la Grande Mosquée s’est inscrite dès l’aube de la construction de cette dernière. Le 19 octobre 1922, lors de la cérémonie de la pose de la première pierre de la mosquée, le Maréchal Hubert Lyautey prononça un discours inoubliable, une parole empreinte de sagesse et de vision :
« Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel de l’Île-de-France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. »
Ces mots, gravés dans la mémoire collective, illustrent une relation où le sacré ne connaît ni rivalité ni exclusion. Le minaret et les clochers se tiennent côte à côte, comme des témoins silencieux d’une harmonie possible entre les confessions. Ils s’élèvent, chacun à leur manière, vers ce ciel partagé qui enveloppe tous les fidèles.
En tant que recteur de la Grande Mosquée de Paris, je vois dans cette relation un message pour notre époque : celui de l’unité dans la diversité, de la reconnaissance mutuelle. Les prières qui s’élèvent de ces deux lieux sacrés ne se concurrencent pas ; elles se complètent, enrichissant un concert spirituel qui fait vibrer les âmes et transcende les frontières humaines.
Notre-Dame et la Grande Mosquée ne sont pas seulement des monuments parisiens ; elles sont des symboles vivants de ce que notre ville, notre nation et notre humanité peuvent accomplir lorsqu’elles choisissent de s’unir dans le respect et la fraternité. Que leurs pierres continuent de chanter l’éternité, et que leurs ombres apaisent les cœurs de ceux qui cherchent refuge sous leur lumière.
Aujourd’hui, mon cœur déborde de joie et de gratitude en contemplant la résurrection de Notre-Dame de Paris, restaurée avec une minutie et une dévotion dignes de son histoire. L’incendie tragique de 2019 avait plongé Paris et le monde entier dans une tristesse indicible, comme si une partie de notre âme collective avait été consumée par les flammes. Mais à travers les efforts acharnés des artisans, des bâtisseurs et de tous ceux qui ont offert leur générosité, Notre-Dame s’élève à nouveau, plus éclatante que jamais.
Cette renaissance n’est pas qu’un triomphe de l’ingénierie ou de l’art, mais une victoire de l’esprit humain face à l’adversité. Elle témoigne de notre capacité à protéger ce qui nous unit, à honorer ce qui nous transcende. Pour nous, musulmans parisiens, Notre-Dame est une sœur ancienne, une gardienne silencieuse de notre patrimoine commun, un lieu où même ceux qui ne partagent pas sa foi ressentent une profonde connexion au sacré.
Voir ses flèches et ses tours s’élancer à nouveau vers le ciel de Paris, c’est voir le triomphe de la lumière sur les cendres, de l’espoir sur le désespoir. Sa restauration est un rappel que le spirituel, bien qu’incarné dans des pierres, ne peut être détruit, car il réside avant tout dans les cœurs. En tant que Parisien musulman, je partage cette joie avec mes frères et sœurs chrétiens, et avec tous ceux, croyants ou non, qui trouvent en Notre-Dame une source d’inspiration et de beauté.
Que sa résurrection soit un symbole pour tous, un rappel que, même dans les moments les plus sombres, il est toujours possible de reconstruire, de se relever et de réaffirmer notre lien. Gloire à Dieu qui permet à la lumière de renaître, toujours plus éclatante, des flammes les plus dévastatrices.
À Paris, le 2 décembre 2024
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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