En contemplant le courage exemplaire de Gisèle Razan, qui s'est levée face aux ténèbres de la violence pour faire entendre sa voix, je ressens une profonde admiration. Témoigner publiquement, dans un contexte souvent marqué par la stigmatisation et le silence, est un acte de bravoure qui transcende l'individu pour devenir un cri d'alarme collectif. Gisèle, par sa résilience, incarne l’espoir d’une justice non seulement réparatrice, mais aussi préventive, capable de transformer une souffrance individuelle en levier pour changer une société tout entière.
Le procès en question a également suscité une indignation rare et précieuse dans le débat public. Les témoignages, notamment celui de Gisèle, ont éveillé une prise de conscience collective sur les violences faites aux femmes, dépassant les clivages sociaux ou politiques. Partout, dans les foyers, les lieux de travail, les cercles religieux et la société civile, les voix se sont élevées pour réclamer une justice qui ne se contente pas de réparer, mais qui protège et prévient. Ce procès n’est pas seulement celui d’un individu contre son agresseur, mais celui d’une société qui se questionne, qui débat et qui cherche à progresser. Il légitime le combat des victimes en les plaçant au cœur d’une exigence commune : celle de construire un monde plus sûr et plus équitable.
Gisèle a, en ce sens, non seulement dénoncé un crime, mais aussi porté un flambeau d’espoir, éclairant les zones d’ombre que notre société doit impérativement confronter. Son courage est une leçon pour tous, une invitation à ne plus détourner le regard, à agir pour que la justice triomphe et que le silence soit brisé à jamais.
Mais ce procès nous oblige à une introspection collective. Les violences faites aux femmes, bien que parfois reléguées au dernier rang des priorités publiques, restent un fléau mondial. Ces actes ignobles, qui brisent des vies, des familles et des communautés, nécessitent une réponse à la hauteur de leur gravité : une justice ferme, une société mobilisée et des institutions responsables.
Contre les violences, puiser dans les fondements de l’islam
Comme recteur de la Grande Mosquée de Paris, il est de mon devoir de rappeler que les enseignements de l’islam condamnent fermement et sans ambiguïté toute forme de violence envers les femmes. Dans ses fondements spirituels et éthiques résident trois principes cardinaux : la justice, la miséricorde et la dignité humaine. Ces principes, issus du Coran et de la Sunna, établissent une vision claire des relations entre les individus, entre hommes et femmes, en particulier au sein du mariage, où l'affection et la bienveillance doivent prévaloir : « Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté. » (Coran, 30 : 21).
Le mariage, en islam, n’est pas un contrat d’asservissement, mais un pacte sacré qui repose sur la reconnaissance mutuelle des droits et des devoirs. Les savants classiques, tels qu’Ibn 'Abd Al-Barr, ont souligné avec insistance que les gouvernants ont pour responsabilité d’imposer des sanctions dissuasives face aux abus, y compris les violences sexuelles. Ces principes, ancrés dans une tradition juridique séculaire, restent une boussole éthique pour répondre aux injustices contemporaines.
L’Académie de recherche islamique d’Al-Azhar, référence mondiale en matière de jurisprudence et de théologie islamique, a récemment réaffirmé avec force que l’islam interdit toutes formes de violences conjugales. Cette déclaration, qui s’appuie sur les enseignements prophétiques et le texte coranique, rejette explicitement les interprétations dévoyées qui pourraient légitimer ces pratiques.
Al-Azhar insiste également sur une relecture contextuelle des textes, particulièrement des passages mal interprétés concernant la « correction symbolique ». Ces autorités religieuses, conscientes des réalités actuelles, mettent en avant la préservation de la dignité des femmes et rappellent que tout acte de violence contredit l’essence même de la foi musulmane.
En Égypte, l’académie a encouragé une réforme juridique visant à pénaliser les violences domestiques, incluant des mesures de soutien psychologique et social pour les victimes. Cet engagement reflète une volonté croissante des institutions islamiques de promouvoir une jurisprudence proactive, adaptée aux défis contemporains et respectueuse des droits humains.
La justice comme outil de transformation sociale
La véritable question est la justice, une et indivisible, indépendamment du genre, du sexe ou de la religion.
La justice vise à restaurer l’équilibre social et à protéger les droits des plus vulnérables. Gisèle Razan, par son courage, nous rappelle que la quête de justice est non seulement un droit mais aussi une responsabilité partagée.
Notre devoir est de défendre sans relâche les droits des femmes. Qu’elles soient musulmanes, chrétiennes, athées ou d’autres confessions, leur dignité est un trésor que nul ne doit profaner. Puissions-nous ériger une justice où chaque femme trouve sécurité et réparation. La société ne progresse que lorsqu’elle élève celles qui portent la moitié de son ciel.
Dans une autre dimension que la justice et la loi des États, la jurisprudence islamique peut favoriser les transformations sociales. Les avancées récentes, inspirées par ce que l’on appelle « les objectifs supérieurs de la loi religieuse » (maqasid al-sharia), témoignent d’une prise de conscience grandissante sur l’importance de protéger les femmes contre toutes formes d’abus.
Pour les musulmans, la justice est une exigence absolue : « Ô vous qui avez cru ! Soyez fermes dans la justice, témoins équitables pour Allah, même contre vous-mêmes. » (Coran, 4 :135). La justice, en islam, n’est pas seulement une vertu morale, elle est un impératif divin qui invite les croyants à œuvrer pour une société plus juste et équilibrée.
Il reste des défis. Dans de nombreux contextes, les résistances sociales et culturelles freinent l’application des principes vertueux. L’évolution des mentalités dépendra d’un effort conjoint de sensibilisation et d’éducation, pour lequel les institutions religieuses, comme la Grande Mosquée de Paris, jouent un rôle crucial.
25 novembre : une journée contre les violences faites aux femmes
C’est dans cet esprit que, le 25 novembre 2024, la Grande Mosquée de Paris a organisé une journée d’étude dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cet événement a représenté bien plus qu’un simple rassemblement académique ou institutionnel : il s’agissait d’un appel à l’action, d’un espace de réflexion collective, mais aussi d’un acte symbolique affirmant le rôle de l’islam comme levier de progrès social et humain.
Cette initiative visait à réunir une diversité d’acteurs : juristes, experts religieux de différentes confessions, médecins, psychologues, sociologues, écrivains, militants, et intervenants de terrain, afin de favoriser une approche pluridisciplinaire dans la lutte contre ce fléau mondial. L’objectif était clair : identifier des solutions concrètes et applicables, ancrées dans une compréhension profonde des contextes culturels, religieux et sociaux, mais également conformes aux principes universels des droits humains.
Les débats, articulés autour de thématiques variées, ont permis de mettre en lumière une vérité essentielle : les violences faites aux femmes ne sont pas l’apanage d’une culture, d’une religion ou d’une région. Elles relèvent d’un problème universel, profondément enraciné dans des dynamiques de pouvoir et des inégalités structurelles. En ce sens, ces violences ne peuvent être combattues efficacement que par une mobilisation collective et transversale, transcendant les clivages confessionnels, sociaux ou idéologiques.
L’une des ambitions principales de cette journée était aussi de déconstruire les préjugés selon lesquels l’islam serait incompatible avec la défense des droits des femmes. En réaffirmant les principes coraniques de justice, d’égalité et de dignité humaine, en se basant sur l’égalité spirituelle des femmes et des hommes, cette initiative a cherché à rappeler que la foi, loin de justifier les abus, peut être un puissant moteur de respect et de protection des droits fondamentaux.
Ainsi, cette journée d’étude s’est voulue une plateforme d’échange et de collaboration, mais également un manifeste clair : les institutions religieuses ont une responsabilité non seulement spirituelle, mais aussi sociale. Par cet événement, la Grande Mosquée de Paris a réitéré son engagement à promouvoir une société où les femmes, indépendamment de leur confession ou de leur statut, peuvent vivre en sécurité, dans le respect et la reconnaissance de leur pleine dignité.
L’initiative s’inscrit dans une vision plus large d’un islam éclairé, où les valeurs spirituelles et éthiques sont mobilisées pour répondre aux défis contemporains. Car, en définitive, la lutte contre les violences faites aux femmes est une bataille qui nous concerne tous, croyants ou non, et qui exige une alliance entre conscience morale, engagement religieux et action concrète.
À Paris, le 26 novembre 2024
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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