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Le billet du Recteur (n°33) - Les Vers du firmament : poètes de l’Islam, porteurs de lumière


 

Imaginez, si vous le voulez bien, ces vastes étendues du désert arabique, plongées dans une douce pénombre, sous le firmament scintillant de l'Orient. C'est là, dans ce paysage austère et majestueux, que la poésie prend sa source, se dressant telle une bannière éclatante de la culture musulmane. Elle n'est pas qu'une simple parole, mais bien l’écho vibrant des profondeurs de l’âme humaine, portée par le souffle divin. Chaque vers, chaque rime, tisse minutieusement le canevas d’une identité partagée. C’est dans ce berceau de sable et de roc que naquit une culture littéraire raffinée, que le Prophète Mohammed (paix et salut soient sur lui) lui-même embrassa et nourrit de sa sagesse.

 

Les Arabes de cette époque n’avaient ni grands palais, ni immenses bibliothèques, mais ils avaient les mots, ces joyaux de la langue, qu’ils polissaient avec la même patience qu’un artisan sculpte la pierre. La poésie était pour eux bien plus qu’un simple art ; elle était un outil de communication, un moyen d’expression de leur histoire, de leurs valeurs et de leur identité. Elle était, en somme, la mémoire vivante de leur peuple.

 

Le Prophète Mohammed (paix et salut soient sur lui), issu de cette culture où la parole avait une force inégalée, reconnut l’importance de la poésie et des poètes. Il comprit que la langue pouvait être un vecteur puissant pour élever les cœurs et les esprits, pour instruire et pour unir. Ainsi, durant l’époque de la Révélation, il encouragea certains poètes à défendre l’Islam et à répandre son message. Parmi ces poètes, quatre noms se détachent avec éclat : Hassân Ibn Thâbit, Ka’b Ibn Mâlik, Abdullah Ibn Rawaha et Salman El-Farisi. Chacun d'eux, par sa plume et sa verve, porta la lumière des enseignements du Prophète, utilisant la puissance du verbe pour combattre l'injustice et l’ignorance.

 

Hassân Ibn Thâbit, connu comme le « poète du Prophète », fut l'un des plus proches de Mohammed (paix et salut soient sur lui). Ses vers résonnaient dans les cœurs comme des chants de vérité, et son éloquence était telle qu’il reçut la bénédiction du Prophète pour s'exprimer depuis le minbar, le haut lieu de l’oratoire de la mosquée. Hassân, par ses poèmes, célébrait la noblesse du message islamique, la grandeur du Prophète et l’appel à la justice et à la miséricorde. Ses mots, ciselés dans l’âme de son peuple, devinrent une arme plus redoutable que l’épée, et le Prophète lui-même disait : « La plume de Hassân fend l’obscurité comme la lame fend la chair. »

 

Aux côtés de Hassân se tenait Ka’b Ibn Mâlik, dont les poèmes résonnaient comme des clameurs de liberté face à l’oppression. Ka’b avait l’art de manier les mots avec finesse, adressant à Quraysh des satires qui valaient bien des flèches. Le Prophète, conscient de l’effet des mots sur les âmes, l’encourageait : « Satirise Quraysh, cela leur sera plus douloureux que les flèches. » Ainsi, Ka’b se dressa en défenseur de l’Islam, ses vers repoussant l’ignorance et l’arrogance, ébranlant les murailles de l’injustice par la force de la poésie.

 

Abdullah Ibn Rawaha, quant à lui, porta la bannière de l’Islam sur les champs de bataille et dans ses poèmes. Sa plume était guidée par la foi, et sa poésie incitait à la bravoure, à l’engagement et à la droiture. Dans les moments les plus sombres, il récitait des vers qui fortifiaient les cœurs, rappelant à ses compagnons que la victoire résidait dans l’adhésion à la vérité et dans la constance sur le chemin de Dieu. La poésie d’Abdullah était le souffle vivifiant qui réveillait les consciences, un appel à la fermeté et à l’espérance.

 

Et que dire de Salman El-Farisi, ce noble compagnon venu de Perse, dont le parcours témoignait de l’universalité du message islamique. Sa quête de vérité l’avait mené aux portes de l’Islam, et il trouva dans la poésie arabe une forme d’expression pure, où les subtilités du langage se mêlaient à la profondeur du sens. Salman, bien que non-Arabe de naissance, maîtrisa la langue du Coran et des poètes, démontrant ainsi que la beauté de la littérature n’avait pas de frontière.

 

Ces poètes ne se limitaient pas à l’expression de la foi et de la lutte ; ils apportèrent aussi une richesse intellectuelle, liant la poésie à la science et à la philosophie. Al-Mufaddal, autre poète de l’époque, disait : « C’est avec la langue que l’homme gagne. » La langue, en effet, était l’instrument de l’intellect, le moyen par lequel les idées se forgeaient et se transmettaient.

 

La poésie arabe avait également une relation singulière avec les mathématiques. À cette époque, la poésie n'était pas seulement un art, mais une science. Les poèmes étaient souvent composés selon des schémas métriques précis, basés sur des règles mathématiques complexes. Chaque lettre, chaque rime portait un poids spécifique, formant un équilibre harmonieux dans le texte. Il était courant pour les poètes et savants de l’époque de coder des connaissances dans leurs vers, donnant à la poésie un rôle didactique. Les lettres pouvaient être numérotées, les vers alignés selon des séquences, transformant chaque poème en un véritable fichier de savoir. La poésie devenait ainsi une science des nombres, un champ où l’art et la logique se rencontraient.

 

Dans le Coran, la poésie occupe également une place particulière. Le verset 224 à 227 de la sourate "Les poètes" (Ash-Shu'ara) dit : « Quant aux poètes, seuls les égarés les suivent. Ne vois-tu pas qu’ils errent, distraits, dans toutes les vallées et qu’ils disent ce qu’ils ne font pas ? Sauf ceux qui croient, qui accomplissent de bonnes œuvres, qui invoquent souvent Allah et qui se défendent après avoir été lésés... ». Ces versets distinguent les poètes qui utilisent leur art pour la frivolité et la vanité, de ceux qui, par la foi et la justice, font de leur poésie une arme contre l’injustice. Ainsi, l’Islam valorise la poésie qui sert la vérité et élève l’âme, tout en la mettant en garde contre la déviation.

 

La Grande Mosquée de Paris, dans un effort de préserver cet héritage littéraire, a institué des initiatives comme son Prix littéraire, lancé en 2022, afin de raviver la flamme de cette tradition poétique qui fait partie intégrante de la culture arabe et musulmane. Car au-delà des mots, c'est l'esprit de communication entre les peuples, le respect des cultures et l'amour de la connaissance que promeut la poésie dans l’Islam.

 

En définitive, la littérature et la poésie occupent une place de choix dans la culture musulmane. Elles sont le reflet d’une époque, d’un peuple et d’une foi qui célèbre la beauté de la langue comme instrument de la vérité. Elles sont ce souffle intemporel qui traverse les siècles, porteur d’un message de paix, d’amour et de justice. Et à travers les poètes de l’Islam, leur mémoire reste vive, comme les étoiles qui brillent encore au-dessus des déserts d’Arabie, guidant les voyageurs de la vie vers la lumière du savoir.

 

Les motivations qui ont poussé la Grande Mosquée de Paris à lancer ce prix littéraire trouvent leurs racines dans le désir ardent de préserver et de célébrer l'héritage culturel islamique. Face aux tumultes du monde moderne, où la poésie et la littérature semblent parfois se perdre dans le vacarme de la rapidité et de l’oubli, la mosquée s’est érigée en gardienne de cette tradition millénaire. En créant ce prix, elle cherche à réveiller les consciences, à rappeler la noblesse de la langue et à encourager les écrivains contemporains à s’inspirer des valeurs véhiculées par les poètes de l’époque du Prophète. C'est un appel à renouer avec l'essence de la littérature : celle qui éclaire les esprits, tisse des liens entre les cultures, et défend la vérité, tout en reconnaissant le rôle primordial de l'art et de la pensée dans l’épanouissement de l’âme humaine. Ainsi, ce prix se veut non seulement une récompense, mais un acte de résistance contre l'appauvrissement du langage et de l’imaginaire.

 

L’édition 2024 du Prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris a une fois de plus révélé l’excellence et la richesse de la littérature inspirée par les valeurs de la culture musulmane. Cette année, le jury a choisi d’honorer des œuvres qui explorent l’âme du monde musulman tout en abordant les thématiques de notre époque.

 

Ainsi, dans la catégorie « meilleur roman 2024 », le prix a été décerné à Le printemps reviendra, de Nour Malowé (Éditions Récamier), un récit poignant qui tisse habilement l’intime et l’universel. Dans la catégorie « meilleur essai », le prix a couronné Nancy-Kabylie, de Dorothée-Myriam Kellou (Grasset), une œuvre captivante qui explore les liens entre histoire, culture et identité. Le jury a également attribué une mention spéciale à Victor Hugo et l’islam, de Louis Blin (Érick Bonnier), soulignant l’importance de la littérature comme pont entre les cultures. Enfin, le Grand Prix du jury a été remis à Yasmina Khadra pour l’ensemble de son œuvre, à l’occasion de la sortie de son nouveau roman Cœur-d’amande (Mialet-Barrault), un hommage vibrant à un auteur dont les écrits illuminent la scène littéraire contemporaine.

 

Je saisi l’occasion pour remercier chacune des éminentes personnalités qui ont comoposé le jury à savoir : Souleymane Bachir Diagne (philosophe et professeur à l’Université Columbia), Lucie Bressy (fondatrice des éditions A vue d’œil), Manuel Carcassonne (directeur général des éditions Stock), Claude Colombini (cofondatrice et directrice des publications des éditions sonores Frémeaux & Associés), Martine Heissat (ancienne directrice du département cessions de droits étrangers du Seuil), Pierre Leroy (ancien président-directeur général de la société Hachette Livre), Aïcha Mokdahi (présidente d’une fondation), Delphine Jouenne (auteure et conférencière, présidente d’Enderby), Mazarine M. Pingeot (écrivaine), Amélie Petit (directrice des éditions Premier Parallèle) et Benjamin Stora (historien, professeur émérite des universités).

 

Cette année encore, ce prix littéraire souligne l'importance de la littérature comme passerelle entre les époques et les peuples, et comme outil privilégié pour transmettre savoir, sagesse et beauté du langage. Les œuvres primées en 2024 s’inscrivent dans cette lignée, rappelant combien la littérature demeure un vecteur essentiel pour porter la voix d’une culture, la sublimer, et la rendre accessible au monde entier.



À Paris, le 1er octobre 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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