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Le billet du Recteur (n°26) - Fraternité : éveillez-vous à l'appel de la République



C'est avec un sentiment d’urgence et une douleur profonde que je prends la plume aujourd'hui, moi qui suis le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, en pensant à tous les musulmans de notre pays. Les résultats du premier tour des élections législatives viennent de nous parvenir, et l'ombre menaçante de l'extrême droite, personnifiée par le Rassemblement National, s'étend sur notre nation de manière alarmante. Ces résultats doivent susciter en nous une réflexion sérieuse. Ils révèlent que les discours de division et de haine trouvent une résonance inquiétante parmi une frange de nos concitoyens. Le succès du Rassemblement National repose sur des promesses de sécurité et de protection identitaire, mais il dissimule des politiques qui menacent gravement notre cohésion sociale et nos valeurs républicaines.

 

Il est impératif que nous prenions conscience des implications de cette montée de l'extrême droite. Derrière le vernis des promesses se cache une réalité qui, si elle venait à s'imposer, fracturerait notre société. Le discours du Rassemblement National, en prétendant offrir des issues simples à des problèmes complexes, joue sur les peurs et les ressentiments. Il ne propose pas de véritables solutions, mais crée plutôt des boucs émissaires, divisant ainsi notre communauté nationale.

 

En écoutant les diverses analyses, interventions et autres déclarations émanant de politiques, de personnalités médiatiques ou encore d’éditorialistes, trois points m’interpellent avec une gravité particulière.

 

Le premier concerne l'homogénéité presque totale des débats. Je me dois de souligner à nouveau l’approche journalistique de plusieurs médias dominants, sans l’analyser en détail comme j’ai pu le faire précédemment, de peur d’accentuer le fossé qui les sépare d'une large partie des Français, exhibés comme les instruments du mal qui menace la France.

 

Le deuxième point est la réaction de certaines personnalités politiques au parcours républicain respectable. Ces personnes, qui se prétendent héritières de la droite humaniste incarnée par feu le président Jacques Chirac — dont la voix nous manque cruellement aujourd’hui —, refusent d’appeler à faire barrage au Rassemblement National. En tant que citoyen conscient et responsable, je ne peux comprendre ni approuver leur position.

 

À ceux qui, sans vergogne, me rétorquent que le peuple a parlé et que c’est cela le sens de la démocratie, permettez-moi d’en appeler à la mémoire de Simone Veil : « Le nazisme est venu par des voies démocratiques, et c’est parce qu’on a laissé se répandre certaines idées, parce qu’on n’a pas su dénoncer le mal, qu’ensuite il est devenu le mal absolu. Nous ne pouvons tolérer ceux qui expriment des idées d’exclusion, de racisme et de xénophobie. La leçon pour l’Europe et pour l’histoire est de continuer à se construire » disait-elle. Cette citation devrait résonner au plus profond de chacun d’entre nous en ces temps troublés.

 

À l’attention de la classe politique républicaine, je dis que la situation exige de nous une vigilance accrue et une action déterminée. Il ne s'agit pas seulement de contester les idées de l'extrême droite, mais de proposer une vision alternative, fondée sur la solidarité, le respect mutuel et la dignité humaine, et sur la promesse d’un avenir plus prospère pour notre pays…

 

Le troisième point me ramène à l’écoute attentive du journaliste Patrick Cohen. Dans sa chronique intitulée "Le RN et la France des bras ballants" diffusée dans l’émission "C à vous" le 28 juin 2024, Patrick Cohen rappelait qu’il y a deux décennies, en 2002, lorsque le spectre de l'extrême droite s'était déjà manifesté avec force, l'Église catholique s'était vaillamment dressée pour rappeler à tous les citoyens la nécessité de protéger les valeurs fondatrices de notre République. D’éminents prélats, tels que Monseigneur de Courtray, s’étaient alors élevés avec force et conviction pour dénoncer l'incompatibilité des thèses du Front National avec les enseignements de l'Église et les principes démocratiques.

 

Cette intervention courageuse de l'Église catholique, en 2002, avait joué un rôle crucial. Elle avait réussi à mobiliser une partie significative de la population contre les idées de l'extrême droite. Son message avait résonné profondément dans les consciences, soulignant que les idées du Front National, basées sur la xénophobie, le racisme et l’exclusion, étaient contraires aux valeurs chrétiennes de compassion, de solidarité et de respect de la dignité humaine. Le Christianisme prône l'accueil de l'étranger, le soin apporté aux plus vulnérables et la lutte contre toute forme d'injustice. La vraie foi se manifeste dans les actions accomplies pour les autres, en particulier ceux qui sont marginalisés.

 

La voix morale de l'Église, qui s'est historiquement élevée contre les injustices et les oppressions, est ainsi nécessaire pour rappeler que les valeurs de notre République — liberté, égalité, fraternité — ne sont pas simplement des mots, mais des engagements profonds envers chaque individu, quelles que soient ses origines ou ses croyances. Il en va de même pour les représentations de tous les cultes en France. Dans ces moments décisifs, nos fidèles, qu'ils soient musulmans, catholiques ou d'autres confessions, attendent de leurs guides spirituels une orientation éthique sans équivoque. Il est donc impératif que toutes les institutions ne restent pas silencieuses ou indécises, mais prennent la parole pour contrer cette montée pernicieuse de l'extrême droite. Saluons, par exemple, la récente tribune à La Croix, signée par 10 000 Chrétiens, dont des représentants protestants et plusieurs prêtres, qui ont appelé à voter massivement contre le RN.

 

L'enjeu qui se présente à nous est d'une importance capitale. Ne demeurons pas inertes. Le Rassemblement National, par ses discours qui divisent, menace notre cohésion sociale ainsi que les valeurs universelles que nos religions ont tant à cœur : l'amour du prochain, la justice, l'égalité et la fraternité. Ne pas faire front à cette menace, c'est ouvrir la voie à l'obscurantisme et à la propagation de la haine.

 

Je vous en conjure donc, chers frères et sœurs des autres religions, de raviver cette tradition de courage et de vérité. Nos communautés religieuses, bien que distinctes, partagent un destin commun sur cette terre de France, et c'est ensemble que nous devons affronter les défis qui nous sont présentés. Joignez-vous à nous dans cette lutte contre l'extrême droite. Faites entendre vos voix pour rappeler à tous les citoyens de notre pays l'importance de défendre notre République et ses valeurs fondamentales... Que nos prières et nos actions convergent pour préserver la dignité, la justice et la paix dans notre nation, pour faire triompher la lumière sur les ténèbres.

 

De la même manière, je réitère mon appel à la communauté juive de France. Je réaffirme que les voix de l'ignorance et de l'intolérance, mises en avant pour nous diviser et nous opposer les uns aux autres, finiront par nous détruire un à un. J’ai le droit d’être consterné lorsque j’entends les récentes inepties de Bernard-Henri Lévy, qui a pu déclarer que « mettre l'antisémitisme et l'islamophobie sur le même plan, c'est dégueulasse ». Non, il n’y a pas de hiérarchie des discriminations. Elles sont toutes à combattre quand elles broient la dignité de l’homme. Banaliser l’une, c’est banaliser l’autre. C’est réduire la portée de la lutte générale, de tous les instants, contre un mal qui se renouvelle sans cesse et s’immisce partout.

 

Une chose magnifique subsiste en France : la République et la justice laïque et égale pour tous tranchent et rétablissent chacun dans ses droits. Ne laissons pas ceux qui risquent de la souiller prendre le contrôle.

 

L’histoire a montré que lorsque nous restons silencieux face à l’injustice et à la haine, les conséquences peuvent être désastreuses. Ne laissons pas l’ombre de l’extrême droite obscurcir notre avenir. Indignons-nous, protestons, votons ! Faisons entendre notre voix pour la justice et la dignité humaine.

 

Je lance donc un appel solennel à tous les citoyens : ne laissez pas l’extrême droite dénaturer notre République. Pour le second tour, mobilisez-vous, faites entendre votre voix en votant pour des candidats qui respectent et défendent les valeurs de notre démocratie. Chaque vote compte pour empêcher l’ascension de ceux qui veulent diviser notre nation.



À Paris, le 2 juillet 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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