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Le billet du Recteur (n°25) - Indignez-vous : à vos urnes pour défendre les valeurs de la République



À l'aube des élections législatives, notre nation se trouve à un carrefour décisif, où les choix que nous ferons traceront les lignes de notre avenir collectif. Parmi ces choix, l'attrait croissant pour le Rassemblement National (RN) gagne du terrain, même parmi des figures aussi éminentes que Serge Klarsfeld. Ce phénomène est nourri par des promesses de sécurité accrue, de protection de l'identité nationale et de restrictions sur l'immigration. Il est toutefois impératif de sonder les profondeurs des implications de telles politiques sur notre société et notre économie. Je vous enjoins à une réflexion indignée et lucide face aux conséquences potentielles, avant de céder à cet appel faussement séduisant.


En tant que simple citoyen, je vous appelle à vous indigner. Oui, indignez-vous, car cette tentation du Rassemblement National nous entraîne vers la déchéance morale. Nous nous apprêterions à entériner un programme qui divise, une série de mesures qui, sous le prétexte fallacieux de la sécurité et de l'identité nationale, risquent de briser notre société en mille éclats. Une politique draconienne sur l'immigration, la promotion d'une identité nationale chimérique et rigide, ne peut que creuser des fossés béants et exacerber les tensions sociales, tout comme réduire l'attractivité du pays pour les talents internationaux, freiner l'innovation et la croissance économique.


Voyez-vous, fermer nos portes, ériger des barrières, ne fera qu’isoler et appauvrir notre tissu social. Indignez-vous, car un tel projet de société, qui privilégie la répression et la restriction des libertés individuelles, menace de transformer notre patrie en un État autoritaire. Nous risquons de sacrifier la justice sociale et l'inclusion sur l'autel de la peur et de l'exclusion.


Nous devons, mes amis, défendre nos valeurs démocratiques et les droits de l'homme, ces pierres angulaires de notre identité nationale. Nous devons résister à cette tentation funeste, nous dresser contre cette vision étriquée et oppressante. Indignez-vous, car c'est en luttant contre ces forces obscures que nous préserverons l'âme même de notre nation, sa grandeur et sa dignité.


Maintenant, permettez-moi de m’adresser à vous en tant que recteur de la Grande Mosquée de Paris, cette mosquée qui a eu l’honneur et la fierté de sauver des centaines de compatriotes juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, en dépit de ceux qui préfèrent occulter cette vérité ou la contester. Je m’adresse à mes compatriotes juifs, à mes amis, mes confrères au barreau, à mes voisins et au-delà : votre ennemi n’est pas le musulman. Je vous le dis avec une force empreinte de gravité : l’islam n’est pas votre ennemi.


Oui, parmi nos compatriotes musulmans, il y a des antisémites, des racistes, des extrémistes, je ne le nie pas. Mais cette triste réalité n'est pas l'apanage de l’islam. Chez nos compatriotes chrétiens, juifs, athées, vous trouverez également des personnes racistes, antimusulmanes, antichrétiennes, antireligieuses, antihumanistes. C'est un fait valable en France comme ailleurs. Ce qui distingue notre société, c’est son universalisme et les valeurs de la République qui nous protègent tous, tels que nous sommes. Ne les livrons pas en pâture à une extrême droite prête à les souiller pour de sombres desseins.


Disons-le franchement, le conflit israélo-palestinien ravive les vieux démons, attise les haines irrationnelles. Mais la France vaut mieux que cela. Cette France, qui nous a tous réunis sous son emblème, mérite que nous placions son intérêt au-dessus de nos divergences. Et ce n’est pas parce que des sorties médiatiques de plus en plus haineuses martèlent que les musulmans seraient des ennemis avérés ou potentiels que cette idée désastreuse correspond à la réalité de notre pays. Au contraire.


Nous avons bien plus en commun que ce qui nous sépare. Alors, indignez-vous, au nom de ce que le peuple juif a enduré sous une Europe gouvernée par l’extrême droite ultranationaliste le siècle dernier. Indignez-vous pour protéger notre unité, pour défendre les valeurs qui nous ont forgés, pour préserver l’âme de notre nation contre les ténèbres de la division et de la haine.


Les dangers ont encore une fois été rappelés avec force par deux anciens premiers ministres, adversaires politiques pourtant unis par les valeurs de la République. Dominique de Villepin, invité de LCI, a déclaré avec une solennité qui ne souffre d’aucune ambiguïté : « Je considère que la priorité doit être donnée à la lutte contre le Rassemblement National ». Et Lionel Jospin d’ajouter: « Nos compatriotes juifs ne seront jamais protégés par le RN, qui est un parti xénophobe et raciste, même si, conjoncturellement, il tourne son hostilité aux étrangers vers les musulmans et les Arabes ».


À ce propos, c’est avec émotion et inquiétude que je souligne la déclaration de la grande journaliste Anne Sinclair, citant le pasteur allemand Martin Niemöller, qui, en 1945, prononça ces mots à la sombre prescience : « Quand ils sont venus chercher les socialistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas socialiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Puis, ils sont venus me chercher. Et il ne restait personne pour protester ». Sinclair, avec une lucidité poignante, explique qu'elle ne voudrait pas qu'on ajoute : « Quand ils sont venus chercher les musulmans, je n'ai rien dit ».


Quel triste constat tout de même, mais l’heure n’est pas aux pleurs : elle est à la résistance. Oui, résistance ! De même que je me suis adressé à nos compatriotes juifs, je m’adresse aux Français musulmans : indignez-vous contre la résilience passive, indignez-vous contre le laisser-faire complice. Indignez-vous en allant voter, car oui, il n’y a qu’à travers les urnes que vous changerez ce destin funeste promis à la République, dont vous ne serez que les premières victimes, piétinées sous l’autel de la xénophobie, qui, je le dis encore une fois, commencera par les musulmans pour engloutir tous ceux qui sont différents à leurs yeux.


Alors, indignons-nous tous, ensemble, et allons voter contre l’extrême droite. Résistons pour protéger notre unité, pour défendre les valeurs de la République, pour préserver notre nation de l’obscurantisme et de la haine. Que chacun d’entre nous, citoyen de cette République, se lève et fasse entendre sa voix, car c’est dans cette mobilisation collective que réside l’espoir d’un avenir digne et juste.


Indignons-nous ensemble et défendons nos valeurs. À vos urnes !


Vive la France, vive la République qui aime tous ses enfants.



À Paris, le 25 juin 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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