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Le billet du Recteur (n°23) - L'heure de l'engagement : dissolution de l'Assemblée et éveil des consciences républicaines



Dans le tourbillon politique hexagonal, une décision audacieuse a récemment secoué la scène française, semant le doute et l'interrogation au sein de la République. Emmanuel Macron, le maître des horloges politiques, a surpris le pays en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale, un geste politique d'une rare intensité.


Dans les méandres de cette annonce, la France semble naviguer entre les écueils d'une démocratie fragile et les remous d'une montée inquiétante de l'extrême droite. Les élections européennes, témoin de ce bouleversement, ont projeté le Rassemblement (Front) national au sommet, offrant à Marine Le Pen et ses partisans une tribune amplifiée.


Les murmures de la politique avaient évoqué divers scénarios, des remaniements ministériels aux alliances inattendues. Mais nul n'aurait pu prédire le coup de théâtre que le président Macron allait orchestrer. La dissolution de l'Assemblée nationale, un acte rare dans l'histoire récente de la France, plonge le pays dans une période d'incertitude et de questionnements profonds.


Au-delà des conjectures politiques qui agitent les cercles de pouvoir, il est impératif d'examiner les forces sous-jacentes qui ont propulsé le Rassemblement national au pinacle politique. La victoire de Marine Le Pen ne peut être simplement attribuée à une série de manœuvres politiques, mais plutôt à un ensemble complexe de facteurs sociaux, économiques et culturels qui ont façonné le paysage politique français. Une rapide lecture de la presse met en avant ces facteurs.


La dureté de la vie et le mal-être résultant des difficultés économiques croissantes ont profondément affecté de nombreux Français. Les inégalités sociales se sont exacerbées, laissant une part significative de la population dans une précarité constante. Le chômage persistant, la stagnation des salaires et le coût de la vie en constante augmentation ont alimenté un sentiment de frustration et de désillusion parmi les électeurs, les poussant vers des alternatives politiques radicales.


La défiance envers les partis républicains traditionnels a atteint un niveau sans précédent. Tant ceux qui semblent incapables de s'entendre sur des solutions concrètes que ceux qui semblent avoir abandonné leurs principes au profit d'une course effrénée derrière l'extrême ont perdu la confiance de nombreux électeurs. Cette fracture au sein de l'establishment politique a ouvert la voie à des alternatives radicales, dont le Rassemblement national a su tirer profit.


La conjoncture internationale a occupé une place disproportionnée dans le débat public, reléguant souvent les véritables problèmes nationaux au second plan. Les enjeux internationaux, aux portes de l’Europe ou au Moyen-Orient, ont monopolisé l'attention médiatique et politique, détournant ainsi l'attention des préoccupations domestiques des Français.

 

Et s’impose aussi l’illusion de « sentiment d'insécurité »…


Dans cette danse des ombres et des lumières de la politique, un voile obscur enveloppe la scène publique française, un voile tissé de peurs ancestrales et de préjugés tenaces. Derrière le masque pudique du "sentiment d'insécurité" se dessine une réalité bien plus brutale, une peur profonde de l'autre, de celui qui est différent, de celui qui est étiqueté, non pas simplement comme étranger, mais comme un intrus dans la couronne de la civilisation chrétienne.


Le "maghrébin", le "musulman", des mots qui résonnent comme des notes dissonantes dans le grand orchestre de la politique française. Ils sont devenus les boucs émissaires, les symboles de tout ce qui est perçu comme menaçant, comme étranger, comme incompatible avec une identité nationale supposément homogène. Une identité qui se craquelle sous la pression de la mondialisation, de la diversité croissante, de la complexité du monde moderne.


Malheureusement, dans la course tourbillonnante des partis qui se proclament républicains, cet argument, tel un refrain usé jusqu'à la corde, sert de bouée de sauvetage dans leur dérive vers les eaux nauséabondes de l'extrême droite.


Un facteur manque dans ce trousseau de clés de compréhension.


Dans ce théâtre tumultueux de la politique, une facette essentielle, pourtant souvent occultée, émerge avec une clarté saisissante : le rôle majeur joué par les médias mainstream dans la montée en puissance de Marine Le Pen et de son mouvement. Un rôle insidieux, où le tapis rouge a été déroulé sans réserve à l'extrême droite et à ses propagateurs, sans filtre, sans retenue, pendant des mois durant.


Certains médias, censés être les gardiens de la vérité et de l'éthique journalistique, ont failli à leur devoir en laissant proliférer un discours toxique, en amplifiant les voix de la division et de la haine, sans même le contrebalancer par un rappel à l'éthique journalistique. Dans certains cas, ils se sont avérés impuissants face aux mensonges flagrants distillés par les promoteurs de l'extrême droite, une triste réalité confirmée par le nombre alarmant de rappels à l'ordre émis par les instances de régulation et les nombreux procès intentés contre les médias.


Mais ceci étant exposé, je souhaite mettre en lumière deux faits importants. Le premier concerne le soi-disant "vote musulman", un épouvantail souvent agité pour semer la peur. Or, à travers mes quelques contacts et observations, il apparaît que la proportion de musulmans ayant voté pour le Front National n'est guère éloignée de la moyenne nationale. Ce constat me laisse perplexe : dois-je m'en réjouir ou m'en alarmer ?


Ce phénomène confirme ce que je ne cesse de marteler depuis des mois : les Français musulmans sont avant tout des citoyens français, sensibles aux mêmes enjeux sociaux, économiques et politiques que leurs compatriotes. Leur choix électoral se porte souvent vers le discours qui promet une France plus forte et plus stable, répondant ainsi aux aspirations universelles de sécurité et de prospérité.


Cependant, cette réalité souligne également notre incapacité collective à démontrer aux électeurs français musulmans les dangers insidieux dissimulés derrière les discours mielleux des représentants locaux du Front National. Ces élus, habiles et rusés, se montrent très à l'écoute des préoccupations des représentants du culte musulman dans leurs territoires, masquant ainsi leur véritable agenda sous des promesses séduisantes et des attentions superficielles.


Ce n'est pas là un simple point de vue, mais une vérité brûlante, une réalité incontestable qui jette une lumière crue sur les failles béantes de notre système médiatique. Dans cette cacophonie médiatique, où la vérité se perd souvent dans le vacarme des intérêts politiques et commerciaux, il est impératif de réaffirmer le rôle crucial des médias en tant que gardiens de la démocratie et de la vérité, et de demander des comptes à ceux qui trahissent cette noble mission.


Le second fait que je souhaite souligner est l'incapacité flagrante des partis républicains à recentrer le discours médiatique, laissant ainsi le Front National imposer ses thèmes de prédilection. Dans l'arène politique, celui qui dicte les termes du débat contrôle, en grande partie, l'issue de la campagne.


Les partis républicains, englués dans leurs querelles internes et paralysés par une vision fragmentée de l'avenir, ont permis au Rassemblement (Front) National de focaliser l'attention publique sur des sujets qui alimentent la peur et la division : l'immigration, la sécurité, et l'identité nationale. Ces thèmes, manipulés avec habileté, ont résonné dans le cœur des électeurs inquiets et désillusionnés.


Au lieu de contrer ces narratives avec des propositions constructives et une vision d'avenir unifiée, les républicains ont souvent succombé à la tentation de se lancer dans des débats stériles ou de se repositionner en fonction de la rhétorique de l'extrême droite. Ce manque de direction et de courage politique a ouvert un boulevard au Rassemblement (Front) National, qui a su exploiter chaque faille, chaque hésitation, pour ancrer ses idées dans l'esprit du public.


La vraie bataille, celle des idées, a été perdue par défaut. En ne proposant pas une alternative claire et en ne réorientant pas le débat médiatique surtout vers des sujets plus inclusifs et porteurs d'espoir, les partis républicains ont abandonné le terrain à ceux qui prônent la division et la haine. Cette abdication a des conséquences graves, car elle permet aux discours extrémistes de gagner en légitimité et en visibilité, façonnant ainsi une réalité politique de plus en plus polarisée.


Aujourd'hui, en dissolvant l'Assemblée nationale, le président de la République s'engage dans une voie périlleuse, ouvrant ainsi les portes à l'incertitude, voire à des perspectives plus sombres. Un mariage forcé sous la forme d'une cohabitation avec le parti de Le Pen constitue déjà un péril significatif pour la nation. Dans le contexte actuel, tant national qu'international, cela pourrait même paver la voie de l'Élysée aux héritiers du maréchal Pétain, nous ramenant aux heures les plus obscures de notre histoire, avec une cible bien connue.


Ainsi, j'en appelle à la raison. D'abord, aux partis républicains : il vous reste vingt jours pour prouver que vous êtes dignes de la grandeur de la France. Que vous soyez les héritiers du grand Charles de Gaulle, qui doit se retourner dans sa tombe à chaque fois qu'un représentant de l'extrême droite, ayant tenté de l'assassiner, se réclame de lui ; que vous soyez les successeurs du fin stratège François Mitterrand, maître de l'union ; ou encore du combatif Georges Marchais, dont la ténacité devrait vous inspirer, il est temps de vous ressaisir et de sauver la France.


Il est impératif de dépasser les querelles intestines et de se concentrer sur l'essentiel : défendre les valeurs républicaines et contrer la montée en puissance de ceux qui prônent la division et la haine. Nous ne pouvons permettre à l'histoire de se répéter. Le devoir des partis républicains est de s'opposer fermement à l'extrême droite, de proposer une alternative claire et unifiée, et de démontrer au peuple français que la grandeur de la nation réside dans son unité, sa diversité et son engagement envers la démocratie.


Aujourd'hui, plus que jamais, la France a besoin de leaders qui incarnent ces valeurs et qui sont prêts à les défendre avec acharnement. Le destin de notre pays ne peut être abandonné à ceux qui souhaitent nous ramener en arrière. Il est temps de rappeler au monde l'essence véritable de la France, cette nation qui a toujours su se relever et s'unir face à l'adversité. Le moment est venu pour les partis républicains de prendre leurs responsabilités et de montrer que la France est plus forte que la peur et la division.


Dans le même temps, et assumant pleinement mon rôle en tant qu'acteur de la société civile, j'adresse un appel solennel à l'ensemble des mosquées affiliées à la Fédération de la Grande Mosquée de Paris et au-delà. Il est impératif de sensibiliser les fidèles sur les dangers imminents qui guettent notre nation et d'encourager ceux qui se sont réfugiés dans l'abstention à prendre part activement au choix de la société qu'ils souhaitent pour demain : une société fraternelle, égalitaire et bienveillante envers tous ses enfants.


Les lieux de culte ont toujours été des bastions de réflexion, de sagesse et de guidance morale. Aujourd'hui, plus que jamais, ils doivent se mobiliser pour rappeler à chaque fidèle l'importance de leur voix et de leur engagement citoyen. La neutralité en ces temps critiques n'est pas une option ; il est de notre devoir de contribuer à la construction d'une société où chaque individu, indépendamment de sa foi, de son origine ou de sa condition sociale, peut vivre dans la dignité et la paix.


J'exhorte les imams et les responsables religieux à utiliser leur tribune pour éveiller les consciences. Expliquez aux fidèles que l'abstention n'est pas une neutralité, mais une abdication de leur pouvoir et de leur responsabilité. Que leur inaction pourrait, en définitive, permettre aux forces de la division et de la haine de s'installer au cœur de notre République.


Il est crucial de rappeler les valeurs fondamentales de notre République – Liberté, Égalité, Fraternité – et d'insister sur le fait que ces idéaux ne peuvent être défendus que par une participation active et éclairée. Nos mosquées doivent devenir des foyers de résistance pacifique contre toute forme d'extrémisme et de discrimination, en encourageant le dialogue, la solidarité et l'implication citoyenne.


Ensemble, nous devons lutter contre l'indifférence et la résignation. Chacun d'entre nous, par son vote, par son engagement, peut contribuer à forger une société plus juste, plus humaine. La France a toujours été un terreau fertile pour l'espoir et l'unité, et c'est à nous de perpétuer cet héritage.


Ainsi, je vous appelle à l'action, à la mobilisation, à l'éveil des consciences. Notre avenir commun en dépend. Faisons en sorte que chaque voix compte, que chaque citoyen se sente investi de la mission de défendre les valeurs républicaines, et que la France demeure une nation où règnent la paix, la justice et la fraternité pour tous ses enfants

 

Vive la France, vive la République et vive les valeurs républicaines.



À Paris, le 10 juin 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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