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Le billet du Recteur (n°17) - “Nous, musulmans, citoyens de France et d'Europe”



Dans la fonction de Recteur de la Grande Mosquée de Paris, articuler les pensées devient une tâche particulièrement ardue. Les paroles, auparavant énoncées dans l'intention de guider et de partager, se trouvent maintenant manipulées et détournées dans une cacophonie mêlant les voix des détracteurs haineux, les âmes tourmentées par la frustration, les tenants du racisme, qui s'efforcent de confiner l’autre dans un rôle restreint, tronquant la vision et les aspirations.


Les nuits s'étirent désormais, accablées par le poids des calomnies et des faux préjugés. Il serait préférable de se limiter à évoquer l'islam et les activités religieuses de la Grande Mosquée de Paris, une enceinte où tant reste à accomplir. Lorsque les médias et certains hommes politiques choisissent de désigner l'islam et les musulmans de France comme l'alpha et l'oméga des maux contemporains, il incombe pourtant, en toute conscience, de réfuter de telles assertions mensongères.


De l'épisode de l'abaya, qui a monopolisé l'attention lors de la dernière rentrée scolaire en septembre 2023, à l'invocation de "l'entrisme islamiste", les motifs de réactions abondent. L'outrage, teinté d'une fausseté criante et d'une injustice flagrante, suscite une indignation difficile à contenir. Ce n'est point là la nature, ni la coutume. Néanmoins, il apparaît comme un devoir de confronter les discours empreints de haine et de discrimination anti-musulmanes, une responsabilité inscrite dans les lois de notre nation, tel que l'affirme l'article 4, alinéa 3 de notre Constitution, qui garantit l'expression plurielle des opinions.


Ce déluge de haine et de discrimination doit être vigoureusement dénoncé. On s'en tient à ses engagements et on laisse ceux qui cèdent à l'exagération, à l'insulte et à la simplification outrancière poursuivre leur propre voie.


Ainsi va le monde, mais on persistera à proclamer haut et fort que la dignité des musulmans est la condition d’une meilleure compréhension de la foi. On n'est pas seul dans cette entreprise, fort heureusement. Sans coordination préalable, on a eu vent ici et là des déclarations de responsables de mosquées, exprimant leur malaise face aux propos irresponsables de certains hommes politiques qui, le menton haut perché, pointent injustement du doigt la communauté musulmane de France. Mais non content de ces faits, des intellectuels, des journalistes, des figures médiatiques se sont également insurgés contre la systématisation de la stigmatisation de l’islam et des musulmans à chaque fait scruté par les chaînes d’information en continu. Mais hélas ! Force est de constater qu’au mieux, ces personnalités se voient cataloguées d’un œil soupçonneux, accablées du terme d’« islamogauchiste », un concept pourtant digne d’une réflexion plus éclairée et sincère.


Au-delà des joutes politiciennes qui rivalisent dans la dépréciation de l’islam et des musulmans et qui requièrent réfutation, on s'exprimera sur les enjeux sociaux, tels que la question de la fin de vie, le mariage pour tous, la préoccupation des droits des animaux à une mort sans douleur, les réconciliations des mémoires des différentes composantes de notre grande nation, mais aussi sur les échéances électorales locales et européennes. Oui, l'Europe, car nous, musulmans de France, sommes également citoyens européens, et nous devons assumer cette identité avec fierté et nourrir chez nos plus jeunes l’amour de l’Europe et la défense de ses valeurs.

 

Que la laïcité se dresse tel un rempart, infrangible, contre toute intrusion de la religion dans les affaires de l’État, est un fait incontestable, auquel nous, en tant que minorité religieuse, sommes fermement attachés. Pour les institutions musulmanes les plus éminentes et représentatives de France, la laïcité offre une forteresse, garantissant la libre pratique de notre foi. L’obligation qui incombe aux dignitaires musulmans de se conformer aux limites tracées par cette laïcité dans leurs discours et prises de position est, à juste titre, un impératif que nous soutenons ardemment.


Ces principes immuables et notre adhésion sans faille à la laïcité ne sauraient toutefois nous dépouiller de notre statut de citoyens engagés dans l’essor de notre nation, attentifs aux tumultes qui agitent son présent. Il en va de même pour les représentants des autres confessions. Or, comment justifier que les propos de quelques égarés, usurpant le droit d’exprimer, au nom de l’islam, des assertions dénuées de tout fondement, soient considérés comme engageant l’ensemble de la communauté musulmane et suscitent le débat comme une parole légitime... Cette incohérence patente ne tolère guère de multiples interprétations.


Je réitère donc avec force que, en notre qualité de musulmans, nous participons pleinement à la vie de la cité, offrant nos opinions sur les questionnements qui animent notre société, conscients que cela constitue une contribution essentielle à son débat public.

 

J’ai, pour ma part, assisté la semaine dernière au discours du Président de la République à la Sorbonne, où il a évoqué les trois piliers de l'Europe : puissance, prospérité et humanisme. Et à titre personnel, je souscris pleinement à l'idée du Président de la République selon laquelle l'homme doit demeurer au centre, avec son attachement à la liberté et à la raison.


En effet, la question de l'homme permet d'aborder la problématique de l'intégration du citoyen musulman dans l'universalisme occidental sans renier les préceptes de sa foi, en parfaite concordance  avec les valeurs européennes. Ne retrouve-t-on pas dans les œuvres de Dante Alighieri au XIVe siècle, les récits évoquant les pérégrinations de l'âme, où se mêlent les pensées d'Ibn Sina (Avicenne), d'Ibn Rushd (Averroès) ou encore de Salah ad-Dîn (Saladin) ?


Le professeur Algérien, Mohamed Bencheneb a estimé que l’œuvre de Dante et Risalat al-ghufrân (« L'Épître du pardon »), sans doute écrite en 1033, de Abū-l-ʿAlā' al-Maʿarrī, ont de nombreuses analogies.


L’Europe, il y a fort longtemps se nourrissait intellectuellement des grands savants musulmans. Il est temps de recréer ce dialogue.


En 1516, lorsque Thomas More publie "Utopia", il esquisse une île où règnent la justice, la tolérance et la bienveillance. Tel est le caractère indéniable de l'islam, qui place l'homme en tant qu'entité sacrée, dotée d'une valeur intrinsèque et investie du libre arbitre, appelée à répondre de ses actes devant Dieu, envers lui-même et envers la société.


L'islam encourage les croyants à scruter le monde qui les entoure à chercher la vérité en usant de leur raison, et aujourd’hui à s'engager pleinement dans notre vie de citoyen.


C'est ainsi qu'en octobre de l'année dernière, le Conseil de coordination européen des mosquées, AMMALE, a vu le jour, dans le dessein d'unifier les voix et les efforts des institutions et des personnalités musulmanes à travers l'Europe. La première mission est de défendre le vrai message de l'islam, en opposition à toute forme d'extrémisme, celui nourri par le racisme et fascisme, tout en préservant la dignité et la citoyenneté des musulmans.


Les musulmans d'Europe contribueront ainsi à renforcer les valeurs fondatrices et humanistes de notre continent. Je les appelle à participer à son futur en se rendant aux urnes, comme tous les citoyens, lors des élections européennes de juin.



À Paris, le 29 avril 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 


 

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