Focus sur une actualité (n°52) - Sous le ciel du Caire, les pas de Macron sur le fil tendu du Proche-Orient
- Guillaume Sauloup
- il y a 3 minutes
- 6 min de lecture

Il est des visites officielles qui relèvent de la simple routine diplomatique, et d’autres qui s’érigent en gestes de courage politique, d’audace géopolitique, et d’humanité réaffirmée. La dernière mission d’Emmanuel Macron en Égypte appartient à cette seconde catégorie : une immersion réfléchie au cœur du tumulte proche-oriental, une démonstration de solidarité à visage découvert, un plaidoyer visuel et verbal pour une paix qui n’ose plus dire son nom.
Pendant deux jours, dans l’ombre brûlante des pierres du Caire et sous les regards de l’opinion arabe, le président français a déployé une stratégie de présence : à la fois incarnation d’un allié occidental déterminé, mais aussi d’un témoin sensible au martyre des peuples. En se rendant jusqu’à El-Arich, ce point d’ancrage humanitaire si proche des décombres de Ghaza, Emmanuel Macron a fait bien plus qu’une halte : il a jeté un pont. Pont politique d’abord, vers les puissances arabes modérées. Pont moral, surtout, vers les civils palestiniens abandonnés dans les interstices du droit international.
Sa déclaration, sobre et solennelle, martelée depuis le Sinaï – « la situation est intenable » – n’est pas une posture. Elle est le cri d’un chef d’État occidental qui refuse de détourner le regard. À une heure où la tragédie de Ghaza semble reléguée aux marges des agendas diplomatiques, Macron a rappelé l’évidence : la faim, le siège, les attaques contre les secouristes sont des lignes rouges. Et dans cette région saturée d’ambiguïtés, la France choisit, avec clarté, l’humanitaire, le droit, la voix des peuples.
Mais il serait réducteur de ne voir en cette visite qu’un défilé compassionnel. Car la mise en scène assumée de sa relation avec Abdel Fattah al-Sissi – dîner dans les ruelles du souk Khan El Khalili, métro pris en commun, déclarations conjointes – est le fruit d’une géopolitique réaliste. Elle vise à faire de l’Égypte, pilier traditionnel de la diplomatie arabe, le vecteur d’un plan de reconstruction pour Ghaza. Emmanuel Macron a lu la carte du Levant avec lucidité : c’est au Caire que peuvent se tisser des compromis, c’est avec Sissi que peut se construire un axe de stabilisation.
Signe d’un tournant politique majeur, le président français a, pour la première fois, évoqué publiquement la possibilité que la France reconnaisse unilatéralement l’État palestinien. Cette déclaration, faite le 8 avril, a saisi de court nombre de chancelleries étrangères. Pourquoi maintenant ? Parce que l’évidence devient écrasante : sans perspective d'État, il n'y aura pas de paix. Parce que maintenir le peuple palestinien dans une attente éternelle, sous blocus, sans horizon diplomatique, revient à alimenter les extrémismes que l’on prétend combattre. En annonçant cette possibilité, Emmanuel Macron envoie un signal clair : la France est prête à endosser un rôle moteur dans une solution politique juste et durable. Ce geste, s’il se concrétise, marquera une rupture avec des décennies d’équilibre prudent, et ancrera Paris parmi les rares capitales occidentales à oser poser un acte fort, là où tant se contentent de mots.
Certains y verront un théâtre diplomatique. D’autres, une pantomime néocoloniale. Mais l’objectivité oblige à saluer le geste présidentiel. Non seulement pour son symbole, mais aussi pour ses intentions concrètes : soutien au plan arabe de reconstruction, plaidoyer pour la solution à deux États, ouverture à la reconnaissance de l’État palestinien, mobilisation auprès des États-Unis, avec un appel quadripartite réunissant Paris, Le Caire, Amman et Washington. Rarement, sous la Ve République, un chef d’État français aura autant investi le terrain proche-oriental avec un tel équilibre entre empathie et stratégie.
En quittant l’Égypte, Emmanuel Macron a glissé à son homologue : « Quand j’aurai un retour des États-Unis, je t’appellerai. » Ce n’est pas qu’une formule. C’est la promesse d’une diplomatie incarnée, suivie, obstinée. Dans un monde où les silences font plus de morts que les bombes, cette voix qui persiste à parler des vivants mérite d’être saluée.
Et peut-être même, un jour, entendue.
*Article paru dans le n°61 de notre magazine Iqra.
______________
À LIRE AUSSI :
Focus sur une actualité (n°37) - A la croisée des mondes : réflexions sur l'état du monde après 2024
Focus sur une actualité de l’islam et des musulmans (n°16) - Le cri du pape François pour la paix et l'humanité Focus sur une actualité de l’islam et des musulmans (n°15) - L'humour, miroir inégal de nos préjugés
Focus sur une actualité de l'islam et des musulmans ( n°12) - Rapatriez nos filles