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Focus sur une actualité (n°31) - La République face à son miroir : quand la République se heurte à ses propres ombres



Il est des affaires qui, sous leur austère voile juridique, révèlent les lignes de fracture les plus profondes de notre société. L’affaire de M. B., candidat refusé dans les rangs de la police nationale pour une marque sur le front, dépasse le cadre strict de la neutralité publique pour toucher au cœur même de ce que nous sommes et voulons être. Au-delà du dossier, c'est la République qui se scrute, s’interroge, et parfois vacille face à son propre reflet.


En octobre 2021, M. B. dépose sa candidature pour devenir policier adjoint dans la préfecture de police de Paris. Son dossier semblait complet, et pourtant, une décision administrative allait tout basculer. Le préfet de police, arguant de la nécessité de neutralité dans la fonction, refuse l’agrément au motif que M. B. présente sur le front une marque visible, dite « tabâa », une pigmentation liée à la friction du front sur le tapis de prière, témoin d’une pratique religieuse régulière. Cette trace, jugée « ostensible », aurait, selon les autorités, le potentiel de nuire à l’image de neutralité requise pour la fonction de policier et révélerait un possible « repli identitaire ». Une accusation lourde, à l’ambiguïté inquiétante.


Pour M. B., cette décision fut un choc autant qu’une incompréhension. La marque qu’il porte, loin d’être une revendication, n’est que la conséquence physique d’un acte privé, d’une routine spirituelle qui n’a jamais eu pour vocation de s’afficher dans l’espace public. Son appel devant le tribunal administratif de Paris en 2023, où il conteste ce refus d’agrément, est cependant rejeté. Le tribunal soutient le préfet, invoquant les risques de confusion entre la sphère privée et la fonction publique.


Mais en 2024, la Cour administrative d’appel de Paris va inverser cette interprétation. Dans un arrêt daté du 18 octobre, la cour estime que la marque de M. B. ne constitue pas un signe distinctif intentionnel et ne saurait être assimilée à une manifestation de ses croyances religieuses dans le cadre du service. Elle rappelle que, bien que la neutralité soit un impératif républicain, l’apparence physique ne doit pas devenir un prétexte pour discriminer les individus sur la base de pratiques intimes ou d’identités religieuses. Les juges insistent : un détail physique, résultant d’une pratique privée, ne peut être assimilé à un comportement ostentatoire.


La décision de la cour administrative d’appel, en rejetant l’argument du préfet, rappelle une évidence que nous semblons parfois oublier : la neutralité n'est pas l'effacement de toute diversité, mais la capacité de chacun à faire abstraction de ce qui le distingue dans l’exercice de ses fonctions. Ce jeune homme, avec sa marque discrète, ne revendiquait aucun signe, n’affichait aucune appartenance dans le cadre de son service. Il incarnait pourtant, pour l’institution, un risque insidieux : celui de troubler la pureté de l’uniforme.


Ce jugement, en rétablissant les droits de M. B., nous invite à repenser nos réactions face à ce qui s’écarte de la norme visible. La laïcité, dans son essence, n’a jamais été un principe d’effacement mais bien de respect mutuel, de protection de la sphère intime contre les tentations du regard public. Comment une République peut-elle prétendre incarner l’universel si elle s’effraie d’un visage marqué ? L’affaire M. B. est un rappel salutaire : notre société, riche de tant de diversités, ne doit pas s’aveugler de sa propre vision de la neutralité. Car chaque empreinte, chaque visage est un témoignage silencieux de ce qui compose notre nation. La République, pour demeurer fidèle à elle-même, doit accepter ces nuances qui font la beauté et la complexité de son idéal. Ainsi, cette histoire de marque sur un front devient, par un étrange détour, une histoire de la République elle-même. Un miroir tendu, où elle est invitée à revoir, non pas le visage de ses citoyens, mais celui qu’elle souhaite offrir au monde.


*Article paru dans le n°40 de notre magazine Iqra.



 

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