Ce premier novembre 2024, à l’orée du souvenir, la France franchit une étape solennelle dans son rapport à l’Algérie en reconnaissant officiellement l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, l’homme aux yeux fiers et au sourire indomptable. Ce militant résolu et chef historique du FLN, arrêté et exécuté par l’armée française en 1957, incarne plus qu’un symbole. À travers lui, c’est toute une histoire partagée, mais longtemps fracturée, que l’Élysée a décidé de confronter à la vérité.
En ce jour où la mémoire s’exprime enfin sans feinte ni détour. Car si les mots aujourd’hui prononcés par le Président de la République Emmanuel Macron rappellent une réalité amère et, pour certains, inconfortable, ils révèlent en même temps une volonté de briser les chaînes de l’omission. Entre la France et l’Algérie, entre mémoire et oubli, un lien puissant se tisse, fait d’histoires de chair et de terre, que la reconnaissance de l’assassinat de Ben M’hidi vient honorer et soulager.
La révolte, le charisme et la fierté
Larbi Ben M’hidi, jeune homme pétri de convictions dès ses années d’études, trouve son chemin à la tête du FLN en 1954, au moment même où le destin de son pays s’inverse. Aux côtés des figures fondatrices de la lutte algérienne, il orchestre le déclenchement de la lutte armée du 1er novembre, cette nuit où les colonnes de lumière de l’Algérie se dessinent enfin dans l’obscurité coloniale. Mais Ben M’hidi, lui, n’est pas un chef de guerre ordinaire. Charismatique et réfléchi, il privilégie l’action politique, puisant sa force dans une foi indéfectible pour la dignité humaine. En 1957, au cœur de la bataille d’Alger, il est capturé par les forces coloniales ; les photographies de son arrestation révèlent un visage souriant, serein, qui n’a rien perdu de son éclat. Les soldats qui l’escortaient, racontent les témoins, ne purent s’empêcher de se mettre au garde-à-vous en sa présence.
Ce fut Paul Aussaresses, funeste homme des ombres et des sévices, qui dirigea sa fin. Ben M’hidi meurt assassiné, mais son souvenir est tel qu’il impose à ses adversaires le respect que lui vouaient déjà ses camarades. Il aura fallu attendre des décennies de silence et d’omission, ainsi qu’une confession tardive de ses bourreaux, pour que la vérité soit dite. L’Élysée, en ce jour, vient restaurer une mémoire oubliée, imposant à l’histoire son dû.
Les enjeux d’une mémoire réconciliée
Cette reconnaissance survient dans le cadre d’un rapprochement patient et sincère que la France et l’Algérie tentent de tisser depuis des années. Depuis la création, en 2022, d’une commission mixte d’historiens des deux pays, les discussions s’efforcent d’examiner cette histoire complexe sous un angle lucide et honnête, et de tracer les contours d’une mémoire partagée. À chaque étape, les défis se sont révélés âpres : les vies prises, les exils forcés, les affronts politiques et les silences lourds pèsent dans la balance de la réconciliation.
Benjamin Stora, figure tutélaire de ce dialogue, parle d’une « entreprise de longue haleine », un effort sans tabou qui engage historiens, politiciens et citoyens des deux rives. Cette commission n’a pas pour simple tâche de dresser des bilans : elle tente de réécrire l’histoire en laissant de côté les colères et les frustrations du passé. Une entreprise noble, dans un monde où les nations ont souvent tendance à écraser sous le silence les souffrances qu’elles ont causées. Jean Daniel, qui connaissait la profondeur des blessures de ce passé commun, savait combien les ombres des souvenirs inassumés marquent les nations d’un sceau indélébile.
La dignité des hommages et le sens de l’histoire
La reconnaissance de la France va au-delà d’un acte symbolique. Elle touche au plus intime des douleurs algériennes et résonne comme une promesse de vérité. Cette mémoire, en constante effervescence, se tisse désormais à travers un travail minutieux d’accès aux archives, de restitution des objets de mémoire, et de valorisation des lieux où se sont joués des destins brisés. Pour la jeunesse, en France comme en Algérie, ces actes ne représentent pas des gestes du passé, mais l’ébauche d’une histoire commune qui puisse, peut-être, échapper aux passions conflictuelles.
En marquant d’un sceau inaltérable cette date historique, le Président Macron espère poser une pierre supplémentaire dans l’édifice fragile de la réconciliation. Car plus qu’une reconnaissance, cet hommage à Larbi Ben M’hidi nous appelle à contempler les visages de ces hommes et femmes dont l’humanité s’est dressée face à l’injustice.
À travers cet acte, l’Élysée semble dire, comme Jean Daniel l’aurait peut-être murmuré en son temps : l’histoire, aussi cruelle soit-elle, peut être dépassée par la noblesse de ceux qui osent affronter la vérité. La France et l’Algérie, en ce 1er novembre 2024, tentent en vain de se trouver enfin, non dans l’oubli de leurs différences, mais dans la compréhension de leurs mémoires entrelacées. Une mémoire qui, demain, pourra laisser place à un dialogue empreint de respect et d’espérance, où chaque mot prononcé résonnera comme un engagement renouvelé envers les générations à venir.
*Article paru dans le n°38 de notre magazine Iqra
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