Dans l'enceinte de la démocratie, la justice incarne l'essence même de l'équité, se déployant sans distinction ni partialité, et surtout dépourvue de tout relent de discrimination. Pourtant, la récente annonce du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, visant à considérer la religion comme une circonstance aggravante dans les affaires d'agression au sein d'une même communauté de croyants, suscite une série d'interrogations éthiques et juridiques profondes.
Cette décision, délivrée à travers une circulaire adressée aux magistrats, semble découler d'une observation des mutations des délits à caractère communautaire ou religieux. On avance que cette mesure répond à une recrudescence des agressions motivées par des griefs liés à la pratique religieuse de la victime. Cependant, cette justification apparaît davantage comme une parure légère sur une politique qui risque d'attiser les flammes des tensions communautaires et religieuses plutôt que de les apaiser.
Le ministère de la Justice met en avant des exemples poignants d'agressions où la pratique religieuse de la victime aurait été le déclencheur direct de l'attaque. Toutefois, cette approche omet la complexité des motivations criminelles et néglige la nécessité d'appréhender chaque cas de manière individuelle. En renforçant la dimension pénale des motivations religieuses, on ouvre la voie à un dangereux précédent qui pourrait être détourné pour stigmatiser certaines communautés.
En outre, cette circulaire s'inscrit dans un contexte législatif déjà controversé, marqué par l'adoption de la loi confortant le respect des principes de la République en 2021. Cette loi, présentée comme un rempart contre le séparatisme, a suscité des critiques quant à son potentiel pour restreindre les libertés individuelles, notamment la liberté religieuse. En recommandant une réponse pénale ferme et expéditive pour les infractions liées à l'appartenance ou à la non-appartenance à une religion, le ministère de la Justice semble privilégier une approche répressive plutôt que préventive. Cette stratégie pourrait criminaliser des pratiques culturelles ou religieuses légitimes, tout en ignorant les causes profondes des tensions sociales et communautaires.
De surcroît, la suggestion de collaborer avec les représentants religieux pour obtenir des renseignements semble contredire le principe de la laïcité, pilier de notre République. Une telle alliance pourrait compromettre l'indépendance de la justice et ouvrir la voie à des discriminations fondées sur la religion. Enfin, cette décision soulève des préoccupations quant à la subjectivité des jugements et aux risques d'abus de pouvoir. En laissant aux magistrats la discrétion de retenir la religion comme circonstance aggravante, on expose le système judiciaire à des interprétations arbitraires et potentiellement discriminatoires.
Cette disposition suscite particulièrement l'indignation et l'inquiétude au sein de la communauté musulmane de France. En effet, cette mesure risque d'exacerber les préjugés et les discriminations déjà présents à l'encontre des musulmans dans la société française. En considérant la religion comme une circonstance aggravante, il est à craindre que les membres de la communauté musulmane soient injustement ciblés et stigmatisés dans le cadre de procédures judiciaires.
De plus, cette disposition pourrait renforcer le sentiment d'exclusion et d'aliénation ressenti par de nombreux musulmans, alimentant ainsi un climat de méfiance et de division au sein de la société française. En somme, cette mesure risque de marginaliser davantage la communauté musulmane et d'accentuer les tensions sociales et religieuses déjà présentes dans le pays.
En somme, l'annonce du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, soulève des inquiétudes quant à ses implications sur les droits fondamentaux, la cohésion sociale et la neutralité de la justice. Plutôt que de renforcer la sécurité publique, cette mesure risque d'attiser les divisions et de compromettre les principes démocratiques de notre société. Il est impératif que cette décision fasse l'objet d'un examen critique et que des alternatives respectueuses des droits de l'homme et de l'état de droit soient envisagées pour faire face aux défis de la violence communautaire et religieuse.
*Article paru dans le n°18 de notre magazine Iqra
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