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Le billet du Recteur (n°24) - La France face à ses peurs : démystification de la montée du RN



On me dit que ma France est raciste, je dis que ma France a peur. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 33 % des intentions de vote au premier tour des élections législatives, le Rassemblement National est en tête. Une réalité qui secoue le paysage politique français et, par extension, notre société tout entière. Face à ce constat, nombreux sont ceux qui hurlent au racisme. Ils dénoncent une France repliée sur elle-même, intolérante, xénophobe et …antimusulmane. Pourtant, j’aimerais proposer une autre lecture : et si cette montée en puissance traduisait avant tout une peur ?


La peur est une émotion universelle, une réaction instinctive face à l’inconnu, à l’incertain. En cette période de turbulences économiques, de crises sociales et de mutations culturelles, qui pourrait reprocher à nos concitoyens d’avoir peur ? Peur de perdre leur emploi, peur de voir disparaître leur mode de vie, peur de l’avenir. Cette angoisse diffuse se cristallise parfois en rejet de l’autre, en un besoin désespéré de trouver des boucs émissaires. Le succès du RN pourrait ainsi être vu non pas comme un signe de racisme endémique, mais comme un symptôme d’un malaise plus profond.


Jordan Bardella, en campagne à Les Plets le 14 juin 2024, ne parle pas seulement à des électeurs en colère, il s’adresse à des individus inquiets, déstabilisés. Les slogans du RN, avec leur promesse de protection et de retour à un ordre ancien, résonnent comme des réponses simples à des questions complexes. Mais cette simplicité apparente ne doit pas nous tromper : elle est le reflet de l’incapacité de notre classe politique à répondre aux défis contemporains de manière rassurante et efficace.


Les partis traditionnels peinent à apporter des solutions convaincantes. Le Nouveau Front populaire, avec ses 25 % d’intentions de vote, et la majorité présidentielle, à 20 %, se cherchent encore. Leurs discours, perçus souvent trop technocratiques ou déconnectés des préoccupations quotidiennes, n’ont pas su capter l’attention d’une population en quête de repères. Pendant ce temps, le F(R)N capitalise sur cette absence, en se présentant comme le seul rempart face au chaos perçu.


Alors, ma France est-elle raciste ? Peut-être que certains de ses choix le sont, influencés par des peurs irrationnelles et des stéréotypes ancrés. Mais au-delà de ce constat simpliste, il est crucial de comprendre et d’adresser les causes de cette peur. Ignorer ces sentiments ne ferait qu’accentuer le fossé entre les citoyens et leurs représentants. Répondre à cette peur par la stigmatisation et les accusations de racisme ne fera qu’envenimer les choses.


Je ne suis ni homme politique, ni économiste, ni sociologue, mais il m'apparaît, à mon grand désarroi, que l'élément qui agite cette peur, la manipule et défigure le visage de la République est l'islam. Les manifestations de plus en plus fréquentes et tolérées des groupes d'extrême droite, comme celle de la semaine dernière à Lyon, en sont une triste illustration. Ces mouvements exploitent les peurs légitimes des citoyens pour promouvoir une vision de la France fermée et exclusive, où l'altérité est perçue comme une menace.


Cependant, permettez-moi, au risque de me répéter, d’affirmer en quoi l’islam ne constitue en aucun cas une menace. Je pourrais, avec des arguments à l'appui, démontrer que l’islam, comme toute religion, est une composante riche et diverse de notre société. Mais cela ne serait que répéter ce que d’innombrables éminentes personnalités ont déjà brillamment démontré. Alors, permettez-moi de recourir aux chiffres : combien les mouvements fondamentalistes représentent-ils dans la population musulmane française ? Même pas 1 %, selon les études les plus sérieuses, sur une population qui elle-même ne représente même pas 10 % de la population française. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes quant à la réalité du danger supposé qui menacerait le mode de vie de notre belle France.


L’autre élément qui fausse les débats est la proportion accordée par les politiques et les médias aux conflits internationaux. Bien entendu, je ne remets pas en cause l’importance de ces débats, qui doivent occuper la place qui leur revient. Ces conflits, bien qu'ils n'aient pas lieu sur notre territoire, ont des enjeux qui nous touchent tous, mais ils ne sont pas déterminants dans les problèmes quotidiens que rencontrent les Français, tels que l’éducation, la santé, le coût de la vie, et bien d’autres encore.


La prédominance de ces sujets dans le débat public crée des climats de méfiance et des doutes sur la loyauté des uns et des autres envers la nation. Cela constitue en soi un facteur de division et de peur pour la population, ajoutant à sa défiance et à ses angoisses.


Ainsi, nous assistons à des positionnements politiques qu’on aurait à peine pu imaginer, tant ils sont contre-nature. L’annonce de Serge Klarsfeld, avocat et chasseur de nazis, se déclarant prêt à voter pour le Rassemblement National, en dit long sur les conséquences de ces débats politico-médiatiques. Ces débats semblent avoir pris parti pour tout le monde, sauf pour la France, sa stabilité et le bien-être des Français, d’où qu’ils viennent.


Au lieu de débats pragmatiques qui éclaireraient nos concitoyens sur les véritables raisons des difficultés affrontées au quotidien, nous assistons à des discours biaisés. Le véritable ennemi, celui qui hante leur inconscient, n’est pas « on était mieux avant que les musulmans n’arrivent », mais « on était mieux avant quand la vie était moins chère ». L’ennemi est l’inflation. On pourrait dire que j’enfonce des portes ouvertes en le soulignant, mais comme précisé plus haut, je ne suis pas économiste. Toutefois, sans avoir besoin d’une boule de cristal, je peux assurer que le remède à l’inflation, ce mal de notre époque, n’est malheureusement pas local mais international. Nos politiques peuvent en alléger les effets, mais pas l’endiguer.


À ceux qui voient dans le Front National une bouée de sauvetage, je les exhorte à examiner attentivement les solutions proposées. Ils se rendraient compte de la supercherie. Les solutions simplistes ne résoudront pas les problèmes complexes de notre société. Au contraire, elles ne feraient qu’ajouter aux divisions et aux tensions, détournant l’attention des véritables enjeux économiques qui affectent notre quotidien.


Je lance un appel solennel à chacun, quelle que soit son origine, et en particulier aux intellectuels et à la classe médiatique, à aimer d'abord la France. Cet amour pour la France doit se traduire par une priorité donnée à sa stabilité et à sa prospérité, avant de se soucier de la légitimité de tel ou tel protagoniste à des milliers de kilomètres. Aimer la France, c’est aussi éclairer les citoyens sur les enjeux économiques des élections, afin qu'ils puissent voter en connaissance de cause, plutôt que de nourrir un racisme sous couvert d’idéologie. Seule une approche centrée sur l’intérêt national permettra de surmonter les divisions et de construire un avenir où chaque Français, quelle que soit son origine, se sentira pleinement intégré et respecté.


Mais ce n'est pas ma France qui est raciste, ce sont ceux qui sont censés l'éclairer et lui donner les clés de lecture qui ont perdu la boussole de la sagesse et de l'intégrité morale. Ces individus, à coup de débats contradictoires certes, nous laissent plus désemparés qu’avant, faute d’espace offert à la scientificité au profit d’empoignades stériles et d’insultes. Les spécialistes autoproclamés de tout et n'importe quoi accaparent la scène. Il est tellement plus simple, finalement, de se focaliser sur le musulman, son antisémitisme fantasmé, le centimètre de trop de sa barbe, le "Allahou Akbar" dans un taxi... et j'en passe.


Permettez-moi de vous révéler une vérité : il y a toujours eu, parmi les musulmans, des barbes qui dépassent, des expressions religieuses répétées à longueur de journée, et même des femmes voilées depuis des siècles. Et savez-vous quoi ? Le vin reste la boisson préférée des Français, le fromage sa grande spécialité, la choucroute demeure alsacienne, la baguette est notre symbole international, et bien que le béret ait largement disparu, faute aux créateurs de mode… les cloches continuent de sonner dans nos villes et villages. Nos concitoyens musulmans souhaitent que cette France continue d’exister.


Sur des sujets plus sérieux, la présence musulmane a-t-elle empêché l'adoption des lois pour l'avortement, le vote des femmes, le mariage pour tous et tant d'autres mesures jugées progressistes par la majorité de la société ?


Non, ce ne sont pas les musulmans qui ont créé les déserts médicaux dans nos campagnes, causé la disparition des bureaux de poste dans nos villages ou fait disparaître les abeilles dans nos prairies. En revanche, beaucoup d'entre eux s'occupent de nos aînés, nettoient nos rues, gardent nos enfants, nous soignent dans les hôpitaux publics, servent dans la police, dans l’armée, et contribuent à la performance technologique de nos entreprises. Et leur présence n'a non seulement pas défiguré l'identité française, mais l'a enrichie et portée fièrement.


Non, ma France n'est pas raciste, son élite a peut-être perdu le sens de la mesure et, dans certains cas, est en désamour de la France. Car l'amour d'un pays exige de mettre son intérêt et celui de sa nation au-dessus de toute considération dogmatique. Rien d’autre ne peut justifier cette connivence avec les héritiers du Front National.


Il est temps pour nos dirigeants de renouer le dialogue avec la France qui a peur. De proposer des solutions claires, inclusives et rassurantes. De démontrer que l’ouverture et la diversité sont des forces, et non des menaces. La peur n’est pas une fatalité. Elle peut être apaisée par une politique courageuse et humaine, capable de réconcilier une nation en quête de sens. Parce que si la France a peur, elle mérite surtout d’être entendue et comprise.


Pour ma part, je ne cesserai, avec tous ceux qui, comme moi, chérissent notre beau pays, de prendre mon bâton de pèlerin et de proclamer ceci : notre priorité est d’éclairer nos concitoyens sur les véritables enjeux économiques et sociaux. Seule une approche pragmatique, enracinée dans les faits, permettra de surmonter les divisions et de bâtir un avenir où chaque Français se sentira pleinement intégré et respecté.


Ma France n’est pas raciste ; elle est en quête de réponses, et c’est à nous de les lui apporter avec justesse et clarté.


Enfin, je réaffirme avec une gravité profonde et une solennité absolue mon appel à tous les citoyens français, spécialement à la jeunesse, et tout particulièrement dans les quartiers populaires : ne tolérez pas qu'ils défigurent notre France, car vous en êtes les acteurs. Mobilisez-vous sans faillir et exercez votre droit de vote



À Paris, le 18 juin 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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